Plusieurs interrogations semblent encore relever du domaine du latent quant à une forme certaine d'indifférence face à quelques pratiques «malsaines» qui ne peuvent que dissuader les visiteurs de la Médina. Les faits dépassent l'entendement et certains agissements ne doivent pas laisser indifférent. Mais le comble atteint son paroxysme quand les visiteurs sont perçus comme des pigeons, ou des vaches à traire et que la première idée qui vient à l'esprit des gérants des établissements est de les plumer : surfacturation, des prix exagérés, mauvais service, cacophonie des spectacles, la liste des doléances est longue. Médina de Tunis. Il est 22h30. Les Tunisiens qui, après avoir eu les pieds panés après la rupture du jeûne, plombés à force de regarder les feuilletons, se font un plaisir fou de se déhancher à l'air pur. Une marée de festivaliers, plus hétéroclite, plus joyeuse, plus jeune, plus belle et plus saine que jamais, a déjà jeté son dévolu sur les souks. D'autres grappes de citoyens se préparent à prendre leurs quartiers de bonheur à la Médina après avoir éprouvé le calvaire du stationnement aux abords de la cité médiévale. C'est qu'au mois de Ramadan, de la Médina, cette cité historique au patrimoine protégé, qui se veut une ville plus belle, plus conviviale, plus accueillante, émane un appel envoûtant au dépaysement. Particulièrement au Ramadan, le soir, la noirceur lui apporte un petit quelque chose de spécial. Elle est porteuse de mystère, de possibilités, d'aventure et peut transformer l'ambiance urbaine du quotidien en une atmosphère de fête. Car ici, le pouls du temps bat à un rythme mystérieux, celui du rien vacancier qui nargue le visiteur et le pousse au farniente limace. Voilà, une ville singulière qui brave le temps, défie l'âge et conserve jalousement les traces de sa splendeur passée. Paul Klee, Auguste Macke, Gustave Flaubert, Guy de Maupassant, André Gide, ces poètes et artistes, en quête essentiellement d'exotisme et de pittoresque, qui ont décrit et chanté la beauté de cette Médina par l'image et le texte, avaient déjà succombé au charme de ce quartier de Tunis qui a toujours quelque chose d'intime et de secret à offrir mais qui livre chichement ses secrets. Et c'est déjà le premier handicap pour les visiteurs. Par où aller ? Comment sortir? A la Médina, les visiteurs ont chaque fois la fugitive impression de tourner la page d'un merveilleux livre d'images que le temps, le vent ou un nouveau personnage modifient sans cesse. Que l'on s'arrête aux entrées des impasses où tout est sujet d'admiration ou au sortir du labyrinthe, la rue s'élargit en éventail formant une place vaste et lumineuse. Au carrefour des venelles silencieuses, sous une ogive de maçonnerie qui enjambait la place, un vendeur ambulant de beignets, de bricks et autres délices de la Tunisie a fixé sa charrette. Une langueur toute orientale se répand sur les êtres et les choses. Des citoyens assis avec leur minuscule tasse de café odorant ou leur verre de thé à la menthe paraissent bien près du bonheur. C'est l'attirance de nos souks, connus à travers les chroniques pour leurs bruits, leurs odeurs et leurs couleurs, qui en fait des lieux magiques à la conjonction du passé, du présent et du futur, des endroits fébriles où l'ambiance et l'animation qui y règnent attirent de plus en plus de visiteurs. Il n'empêche, pour ceux qui préfèrent flâner dans les dédales de la Médina, ils se lancent sans le savoir dans une sorte de labyrinthe. C'est d'ailleurs le cas de cette dame originaire de Mahdia qui, bien qu'elle habite le Grand Tunis, ne connaît pas la Médina. « Où se trouve la Rachidia ?», demanda-t-elle à un serveur de café affairé à débarrasser une table. Hésitant, parce qu'il n'est pas non plus du quartier, il l'envoie finalement dans le sens contraire. Une autre dame d'un certain âge demande en vain si on peut visiter Tourbet El Bey. Personne ne sait si cette demeure funéraire est ouverte le soir et si elle est visitable. Où sont les jolis panneaux d'accueil et les comptoirs d'information? Où sont les guides locaux pour des visites guidées à pied ? Livrés à leur sort, il est toujours difficile aux visiteurs de se repérer dans le maquis des demeures et le labyrinthe de la Médina. De plus, les citoyens, qui n'ont pas plus d'informations sur leur propre ville que leurs hôtes, envoient généralement dans la mauvaise direction ces visiteurs à la recherche d'un monument, d'un musée ou d'un lieu de mémoire. Nuisances sonores Et si le festival de la Médina et le festival Tarnimet s'escriment à mettre en exergue des valeurs plus sûres et plus pérennes comme la culture, d'autres formules aussi diverses que captivantes prennent désormais forme dans les espaces publics, tels que les cafés et les salons de thé où les cœurs battent au gré des rythmes emportant les clients dans une ivresse mélodieuse. En effet, les spectacles de charme fleurissent dans les salons de thé ayant pignon sur rue à la Médina, offrant un cocktail torride qui donne la fièvre aux riverains. Cependant, le vacarme atteint parfois des proportions inacceptables allant jusqu'à faire monter la grogne chez les habitants. Lassaad, est l'un de ces riverains de la rue Ben-Arous, qui a les nerfs à vif. En effet, «en plus des décibels, le va-et-vient est incessant dans la rue. Certaines nuits, il y a tellement de bruit que l'on part passer la nuit chez mes parents», s'étrangle ce bonhomme. Les habitants qui exigent leur droit au calme, souhaitent un peu plus de discrétion. La bonne poire Mais l'orientation et le vacarme ne sont pas les seuls casse-tête. C'est que ce défilé pittoresque d'un monde cosmopolite et varié est exposé chaque soir à des arnaques de formes multiples. En effet, le visiteur, ravi de humer à peu de frais l'air doux de la Médina, se rebiffe dès qu'on lui présente la note de sa consommation. Par ici les pigeons! On bataille fort pour les attirer, pour augmenter les chiffres qui jettent de la poudre aux yeux et pour se targuer d'être l'établissement le plus authentique. En plus des établissements déjà connus, en l'occurrence « Dar Jeddoud », « Dar El Medina », « El Ali », « Café Mrabet », de chaque côté des étroites chaussées de la Médina s'ouvrent des salons de thé, volant la vedette aux Chaouachines et aux autres venelles jadis réputées aux souks. Les prix pratiqués dans ces établissements donnent le tournis. Mais là où le bât blesse, c'est qu'aucun gourou statisticien n'a encore réussi à déterminer les facteurs ou les variables permettant de comptabiliser les retombées positives et négatives de ce tourisme local, pour en établir le bilan. « Payer six à huit dinars pour une tasse de thé à la menthe est une arnaque», assène Foued qui vient passer sa première soirée à la Médina. «La prochaine fois, on ira à Bab Souika où les prix sont abordables et le cadre est enchanteur», souffle son ami. « On facture le cadre typique des souks et la vue imprenable des terrasses, c'est tout», ajoute Amina, qui affirme avoir fait le tour de ces établissements et constaté la même tricherie. « Ce genre de délit est commis de manière à être repéré facilement», souligne-t-elle, tout en exprimant son étonnement de ne pas voir de contrôle. Victimes de fraude et de mauvais service, les tunisiens continuent quand même à affluer massivement à la Médina. Il n'empêche, on part chaque soir avec le même goût de l'arnaque!