Par Lassaâd BEN AHMED La résistance de l'ancien système au changement qui a commencé à prendre forme depuis plus de quatre ans a été envisagée par plusieurs analystes, dans la mesure où il ne serait pas du tout facile de déraciner un régime qui s'est ancré au fil des décennies dans tous les rouages de l'Etat. D'où, d'ailleurs, le mécanisme de la justice transitionnelle qui repose sur le principe de reddition de comptes avant de procéder à la réconciliation proprement dite. Et parmi les questions ayant alimenté le débat autour de cette problématique : jusqu'à quel niveau cet assainissement sera fait. Car, au fait, la malversation a touché pratiquement tous les secteurs et rares sont les personnes n'ayant pas, d'une manière ou d'une autre, appuyé l'ancien système. D'où également la question fondamentale : allons-nous nous limiter à Ben Ali et à son clan dans cet assainissement, ou est-ce que cela va toucher toute personne ayant illégalement tiré profit de sa position ou de son pouvoir pendant la dictature ? Et les points de vue de diverger, d'autant plus que la question s'étale sur plusieurs années et renferme aussi bien une dimension politique que juridique. L'on dirait même qu'il existerait une dimension de justice sociale, puisque sous la dictature, plusieurs catégories sociales ont souffert de marginalisation et de démesure, qu'il serait maintenant très difficile de leur rendre justice. Cela sans compter le sang qui a coulé pour démanteler l'ancien système. Il est important de prendre tout en considération pour pouvoir avancer sur des bases solides. Et s'il était boiteux, jusqu'à présent, d'avancer sans faire la paix avec le passé et ses «démons», il serait encore moins juste de le faire sans prendre en considération un «passé proche» marqué par un processus révolutionnaire et transitoire et ayant conduit à l'établissement d'un nouvel échiquier. Lequel échiquier est porteur d'espoir aussi bien pour les proches des martyrs et des victimes du soulèvement que pour les responsables/coupables de l'ancien régime, tous degrés confondus. C'est dire que la réconciliation objet d'une initiative présidentielle récente se profile comme un pacte de paix, sans lequel le pays ne peut avancer davantage, compte tenu d'une situation économique et sociale qui ne tient plus qu'à un fil pour basculer vers le pire, mais qui démontre que la résistance de ce qui reste de l'ancien système s'est avérée plus forte que l'air du changement. L'initiative se veut fédératrice et s'adosse à l'argument que le pays aura besoin, aujourd'hui, de toutes ses forces, surtout financières, pour retrouver vigueur et paix. Elle se veut également annonciatrice d'un nouveau départ qui met à contribution les personnes ayant versé dans les affaires « salées » de la famille au pouvoir, moyennant le versement d'une partie de ce qui a été mal acquis, au lieu de tout confisquer. Ce qui a été mal acquis, n'appartient-il pas, au fait, au peuple tunisien ? Le problème c'est que certaines parties concernées n'ont jamais fait de mea culpa ni cherché à obtenir le pardon. Ils persistent, au contraire, sur une attitude arrogante, ce qui n'est pas du tout rassurant, non seulement quant à leur repentance, mais surtout pour le retour progressif du dictat de l'argent sous de nouvelles formes, encore plus redoutables...