Par Samira DAMI La communication a fait défaut cette année au festival international de Carthage, car comment expliquer qu'une artiste telle la Malienne Oumou Sangaré se retrouve devant une poignée de spectateurs. Ce qui a poussé la chanteuse à inviter le public très réduit des gradins à occuper les chaises pratiquement vides ? Pourtant cette ambassadrice du Wassoulou, région à cheval sur le Mali, la Guinée et la Côte d'Ivoire, est une star mondiale qui s'est produite sur les plus grandes scènes du monde, New-York, Sydney, Londres, Bruxelles, Tokyo, et autres. Et elle a prouvé sa qualité de grande artiste en sachant gérer cette défection du public, qui donne, normalement, des sueurs froides aux artistes et a fortiori s'ils sont de la trempe des stars. Cette défection est d'autant plus remarquable qu'il s'agit d'un aussi grand espace que le théâtre romain de Carthage, près de 10.000 places en tout. Débordante d'énergie, Oumou Sangaré a su faire réagir le petit nombre de spectateurs en communiquant avec eux à travers la parole et la musique. Artiste engagée, elle a montré, tout au long du spectacle, son amour et sa passion pour la musique qu'elle considère comme « universelle, bénie de Dieu, d'autant qu'elle n'est pas raciste». Etait manifeste, également, son engagement pour la cause de la femme dont elle a chanté, notamment dans «Moussoulou», les mérites et les souffrances, entre mariage forcé, polygamie, exil illusoire, etc. Avec sa voix chaude et rauque, soutenue par les rythmes Wassoulou bruts que distille son orchestre, elle transporta le public au cœur de l'Afrique qui se distingue par ses sonorités instrumentales, entre la lancinance du Kora et la jubilation du djembé. Ces instruments du terroir sont accompagnés d'autres plus modernes, deux guitares et une batterie. Les instrument à cordes, guitare et Kora, et à percussion, djembé et batterie, ne se repoussent pas mais s'attirent pour créer des sonorités nouvelles entre tradition et modernité avec des accents funky, dance et soul. Et cela s'est profondément traduit dans «Moussoulou» et «Yala». Deux superbes morceaux au jeu instrumental très inspiré qui a fait chalouper les spectateurs ravis. Planifier pour mieux communiquer La diva du Wassoulou a chanté et dansé, accompagnée d'une danseuse frénétique, créant, durant une heure et demie, une folle ambiance. Elle serait peut-être restée davantage avec un public plus nombreux, mais là on revient au problème commun à tous les festivals. Car, qu'on se rappelle comment Imed Alibi, artiste tunisien qui s'est imposé de par le monde avec son album «Safar», s'est produit, le 12 juillet, sur la scène du coquet théâtre de Hammamet, devant une poignée de spectateurs dont 4 seulement ont acheté leur billet. D'ailleurs même le chanteur et compositeur anglais Charlie Winston s'est produit le 5 juillet à Carthage devant un public réduit même s'il a su, lui aussi, mettre de l'ambiance et séduire les présents. Tout est question de communication, mais certainement pas de dernière minute, car pour faire connaître au public la production artistique d'Imed Alibi, d'Oumou Sangaré ou de Charlie Winston par exemple, il faudrait plus qu'une annonce publicitaire, plus qu'un avant-papier dans un quotidien de la place et plus qu'un spot publicitaire afin que le public fasse connaissance avec leurs œuvres, car il est impératif de communiquer largement en amont et de manière intense sur tous les spectacles programmés. Et pour cela il faudrait que les programmes des grands festivals d'été soient planifiés et fin prêts des mois à l'avance, comme c'est le cas ailleurs où ils sont bouclés plusieurs mois, voire une année, auparavant. Or, c'est loin d'être le cas chez nous. Par conséquent il faudra planifier pour mieux communiquer. Ainsi, tant que la tradition de la programmation de dernière minute n'aura pas changé, le problème de la communication demeurera entier et il arrivera, encore et toujours, que des artistes confirmés et talentueux, mais méconnus sous nos cieux, se produisent devant une poignée de spectateurs sur les scènes des festivals d'été les plus prestigieux. Pour être efficace et inciter le public à la découverte en évitant toute désaffection aux répercussions néfastes aussi bien sur les artistes que sur les budgets des festivals et leur rentabilité, il faudrait réviser plusieurs points. Cela en dotant tous les festivals, a fortiori internationaux, d'un statut juridique ; or Carthage, par exemple, n'en a pas encore, et d'un comité directeur permanent qui aura la tâche de la programmation et de l'organisation des festivals. Or, tout cela exige la mise en place d'une stratégie culturelle étudiée et réfléchie ainsi que la construction d'une vision claire et précise sur les manifestations d'été. A bon entendeur...