L'affligeante inconsistance des protagonistes de la scène politique, à droite, à gauche et même dans la sphère des organisations professionnelles, en rajoute à l'inquiétude ambiante et au sentiment d'impuissance. Un phénomène digne d'être ausculté de près, par les acteurs de la scène politique en prime La politique, sous nos cieux, est devenue synonyme de blocage et d'équilibre catastrophique. Majorité, opposition et ténors des organisations professionnelles brodent dans le registre de l'absence de projets mobilisateurs et du manque de charisme. Du coup, l'exercice politique est devenu prosaïque, terre-à-terre. Au grand dam des citoyens, qui ne savent plus où donner de la tête. Et qui s'abîment dans la perplexité et l'angoisse du lendemain. Ce n'est pas le cas ailleurs. Boris Johnson, le tonitruant maire conservateur de Londres, vient de publier, chez Stock, une biographie de Churchill intitulée «Winston. Comment un seul homme a fait l'histoire». Dans une interview au Nouvel obs, il a déclaré hier : «J'ai voulu répondre à une question qui me taraude depuis longtemps : comment Churchill est-il devenu le seul homme qui a fait le pari de s'opposer à Hitler en mai 1940 ? S'il n'avait pas pris cette décision, cela aurait été sans doute un désastre pour l'humanité. Ce choix de 1940 est fascinant, car il tient tout entier dans sa force de caractère. J'ai donc fait une enquête psychologique. Quand on voit les statues de lui, on a l'impression qu'il était imposant. Quand on sait ce qu'il a fait, on se dit qu'il était incroyablement courageux. C'était pourtant un enfant petit et lâche. Il a passé sa vie à façonner sa personnalité pour prouver à ses parents qu'il pouvait être quelqu'un. C'est très freudien !» L'histoire est ainsi faite. Les motivations secrètes des uns et des autres sont rarement mises au grand jour. Les conditionnements sourds tissent leur trame en silence. Hier également, Yanis Varoufakis, l'ex-ministre grec des Finances, qui votera aujourd'hui pour le parti de l'Unité populaire, formé de dissidents de Syriza, a déclaré au même Nouvel Obs à propos de la crise grecque : «La cause profonde de cette double crise réside dans le fondement même de l'Union européenne qui a été conçue comme un cartel d'industrie lourde avant d'évoluer en un consortium de banques, géré par une technocratie incompétente qui méprise les principes fondamentaux de la démocratie et qui a développé sa propre conception d'une monnaie unique reflétant la logique du Gold Standard de l'entre-deux guerres». Deux hommes, deux statures imposantes. Et un positionnement tranché vis-à-vis des vicissitudes de leurs peuples engagés dans la tourmente. Ce qui, sous nos cieux, fait cruellement défaut. Résumons. Tant dans la majorité que dans l'opposition -les oppositions pour être fidèle à l'allure des faits- des figures pâles et falotes tiennent le haut du pavé. Présidant des partis sectaires ou inconsistants, elles n'arrivent pas à s'ériger en figures de proue à dimension nationale. Tout au plus, ces hommes officient-ils comme chefs de clans, s'investissant davantage dans la coterie, la tribu, la confrérie que dans la patrie. Ajoutons-y l'absence de programmes alternatifs et l'on comprendra comment les fonctions hégémonique ou persuasive de tel parti ou tendance sont inopérantes chez nous. Une faiblesse structurelle démocratiquement partagée Du temps du règne de la Troïka (2011-2014), Rached Ghannouchi, Mustapha Ben Jaâfar et Moncef Marzouki, dirigeants respectifs d'Ennahdha, d'Ettakatol et du CPR, avaient lamentablement échoué. En plus de la crise économique et sociale endémique, ils avaient favorisé, tantôt inconsciemment tantôt volontairement, l'irruption des terroristes et de l'escadron de la mort sur la scène politique. Economiquement, ils avaient livré la pays au capitalisme sauvage et débridé, doublé de l'endettement extérieur excessif et de l'assujettissement aux diktats du FMI et de la Banque mondiale. Politiquement, leur exercice s'est caractérisé par l'autoritarisme musclé, suite notamment aux répressions sauvages des manifestations du 9 avril 2012 à Tunis, et du soulèvement populaire à Siliana à l'automne 2012. Sans parler des assassinats terroristes des dirigeants de gauche Chokri Belaïd (février 2013) et Mohamed Brahmi (juillet 2013), assassinats encouragés par le laxisme du gouvernement et des partis dominants d'alors à l'endroit des groupuscules terroristes et des formations para-militaires qui leur sont inféodées. A l'époque, seuls Chokri Belaïd et Hamma Hammami, dirigeants du Front populaire, ainsi que Béji Caïd Essebsi, alors dirigeant de Nida Tounès, avaient réussi à rallier les sympathies de larges franges de l'opinion. Ils s'étaient ouvertement inscrits en porte-à-faux de la Troïka et de l'escadron de la mort. Après les élections législatives et présidentielle de 2014, la vapeur a été renversée. Le Front populaire, ayant entre-temps perdu deux de ses valeureux leaders assassinés, a tourné casaque. Il n'a plus la même verve et encore moins la même prise sur la rue. Béji Caïd Essebsi, lui, a préféré Carthage à La Kasba, nourrissant un vieux rêve. Le CPR et Ettakatol semblent en voie de dépérissement, subissant les contrecoups pervers de leur gestion désastreuse du pouvoir. Ennahdha, fort d'un bon score dans les législatives, s'est avisé de sauver les meubles en mettant de l'eau dans son vin et en faisant partie de la nouvelle coalition gouvernementale avec Nida Tounes, l'ennemi juré d'hier. Quant au gouvernement, il a été confié par Nida Tounes à Habib Essid, un haut commis de l'Etat, certes, mais qui n'arrive toujours pas à avoir le charisme nécessaire pour en imposer à tous. De sorte que l'homme constitutionnellement le plus fort du pays se retrouve, lui aussi, dans la confrérie des faibles ou des inconsistants. D'où cette impression de faiblesse structurelle démocratiquement partagée par toutes les composantes de la classe politique. Et la navrante absence d'un dessein national que traduirait un programme économique et social aux contours bien définis. Pour l'instant, les programmes des uns et des autres se réduisent le plus souvent à de généreuses déclarations d'intentions. Dans leur écrasante majorité, les Tunisiens sont perplexes, tenaillés par l'angoisse du lendemain. Ils ne cessent de s'interroger : «De quoi demain sera-t-il fait?» L'affligeante inconsistance des protagonistes de la scène politique, à droite, à gauche et même dans la sphère des organisations professionnelles, en rajoute à l'inquiétude ambiante et au sentiment d'impuissance. Un phénomène digne d'être ausculté de près, par les acteurs de la scène politique en prime. Autrement, on n'en finira pas de réitérer la tragi-comédie d'une place où l'insignifiance le dispute à l'incompétence.