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Les mosquées de Carthage
Opinion
Publié dans La Presse de Tunisie le 05 - 05 - 2016


Par Khaled EL MANOUBI
Cet article, outre son objet, est aussi une petite introduction à l'esthétique, spécialement lorsqu'on la considère comment un révélateur non mensonger de la société. Celle-ci, en effet, n'est plus un troupeau qui s'adapte naturellement à la nature pour vivre — comme faire son nid, chasser en groupe, faire de la forme du corps ou de sa couleur un leurre destiné à semer les prédateurs — mais une organisation véritablement sociale où toutes les activités relèvent de trouvailles et de trouvailles elles-mêmes renouvelées. Celles-ci sont à la base de toute la production et de la consommation sociale : l'habitat, le transport, le manger, le vêtir, etc. ne sont plus innés ou instinctifs mais sont en évolution ininterrompue car ce sont aussi des idées qui sont par définition abstraites.
Toutes les activités de la vie correspondent ainsi à des idées sociales actuelles, nécessairement partagées jusqu'à nouvel ordre, sauf que partager des idées abstraites a lui aussi nécessairement besoin de concrétisations symbolisant ces abstractions. L'ordre social exige par conséquent qu'à côté des activités artisanales (ou industrielles) se développent des arts qui produisent les symboles concrets correspondant à ces activités telles qu'elles sont unifiées par la cohérence sociale. Ces arts — produits par des artistes ou des esthètes — sont alors à leur tour nécessairement unifiés dans un système constituant l'esthétique, cette expression par le beau synonyme de cette incroyable convergence sociale actuelle.
Ce texte se limitera à évoquer deux exemples d'esthétique relatifs à la Tunisie contemporaine, ceux du vêtir, d'une part, et de l'architecture des mosquées, d'autre part.
Le Mouchir Ahmed Bey a été le premier grand bey après le grand Hamouda Pacha — lequel portait encore l'habit ample traditionnel — à porter l'habit moulant européen, le couvre-chef excepté, imité en cela par l'aristocratie non religieuse. Le problème est que, grâce au capitalisme, l'évolution sociale s'est trouvée accélérée durant les trois siècles précédant le règne de Hamouda Pacha, alors que, par le dos tourné au capitalisme, l'évolution sociale de la Tunisie s'en est trouvée fossilisée. Et les modernistes de tout bord doivent savoir, même si on n'arrête pas l'évolution, que chaque société partielle au sein du capitalisme ne peut évoluer qu'à son propre rythme. Aussi, et pour le peuple qui fait la nation, le moulant est-il synonyme de nudité, laquelle est proprement scandaleuse. Mais c'est le scandale absolu car c'est cette nudité même qui sert par définition d'accessoire pour gagner la sphère publique : désormais, le scandale marche sur ses pieds au vu et au su de tout le monde dans les rues et les places publiques!
Autre fait renversant : en esthétique, l'introduction de la colonisation n'a pas été le fait des armées européennes mais bel et bien celui de l'aristocratie locale, souverain investi par le calife en tête. Il faut dire qu'à Tunis, comme à Istanbul, la nudité ne couvre — ou ne découvre, si l'on ose dire — que la partie du corps qui va des pieds jusqu'au cou. La tête, en effet, ce siège de «la raison et de la foi «ne peut que rester fidèle à la couverture traditionnelle car il n'est pas possible d'enfreindre la croyance du peuple. On ne peut donc que garder le couvre-chef traditionnel en forme de demi-sphère (chéchia) ou de cylindre (fez), couvre-chef dont la couleur — le rouge — ne peut «heureusement» pas passer inaperçue. Sauf que le flamboiement du rouge porté par la tête ne suffit pas, à l'instar de l'éclat d'une bague en or, à banaliser la nudité du fondement. Finalement, on débouche malgré tout sur le paradoxe suivant : bien que suspendu par la tête à la raison des siens, le chef de l'aristocratie livre lui-même ces derniers — esthétiquement — à la colonisation européenne !
Un peu plus d'un siècle plus tard, l'élite autoproclamée — un ramassis de parvenus en rupture avec les valeurs aristocratiques — prétendra décoloniser le pays tout en dénudant purement et simplement la tête par l'abandon du fez au lendemain même de la destitution du bey. Mais alors que l'auto-colonisation du temps du Mouchir Ahmed Bey avait pour elle — pour ainsi dire — d'être le fait d'un homme malgré tout sensé dans le regard des siens, la décolonisation et l'abolition de la monarchie sont venues de l'absence de raison. C'est qu'il importe à ce propos de rappeler que dans tous les types de costume de par le monde, la tête est toujours couverte, quelque soit le climat. Et que la tendance actuelle chez Monsieur Tout-le-monde de ne pas se couvrir la tête est elle-même l'expression d'un désarroi provoqué par les télescopages actuels de cultures dus à la globalisation. Or le chef de l'élite autoproclamé se fait lui-même photographier en 1957 pour le portrait officiel en habit bourgeois... le chapeau haut de forme en moins, chapeau et habit portés tous deux par Atatürk et les plénipotentiaires du Japon.
Ces derniers se sont dotés de la raison actuelle alors que chez nous, le gros de l'élite, chef en tête, a abandonné la raison traditionnelle sans adopter l'actuelle. Deux de nos lauréats du prix Nobel ont porté en décembre 2015 habit et haut de forme à Oslo mais sûrement jamais à Tunis : lorsqu'on perd le nord et pour y avoir la paix, quel meilleur déguisement qu'une raison et une tête ? De raison, point par conséquent depuis 1957. Passons maintenant à l'architecture des mosquées.
Les édifices religieux de presque toutes les croyances comportent des parties surélevées pointées vers le ciel à l'instar des minarets des mosquées et des clochers des églises.
Au regard des formes esthétiques des minarets ou des clochers, la Méditerranée est partagée en un bassin oriental du cylindre et en un bassin occidental du cube (ou du parallélépipède). Le cylindre — surmonté par un cône pointé vers le haut — est à section circulaire, le cercle étant l'ensemble des points situés à égale distance du point centre : ce cercle symbolise la société de classes où le peuple gravite autour du chef théocratique de l'aristocratie. Le Proche-Orient est le siège des sociétés de classes accomplies tant en Egypte qu'en Mésopotamie et même, plus tard, à Byzance puis Istanbul. Aussi les mosquées y sont-elles la forme d'un cylindre à partie haute conique.
Le cube (ou le parallélépipède) est à section carrée et le cube renvoie à la case ou la maison individuelle, l'individu n'étant socialement érigé que par le commerce où le vendeur se trouve à égalité de libre-arbitre avec l'acheteur. Or, précisément, Carthage a été le refuge des Phéniciens commerçants échaudés par la pression exercée au Proche-Orient par les hordes d'Asie Centrale. Comme les Grecs et les Romains, les Carthaginois ont été gouvernés non par un despote de type oriental mais par une sorte de sénat. Aussi, clochers d'église et minarets seront-ils, dans le bassin occidental, à section carrée, à l'instar, pour ne citer que quelques exemples, du clocher de l'église du vieux Aix-en-Provence, de la mosquée de Kairouan ou de celle de Séville transformée par la suite en cathédrale.
En Tunisie d'avant l'indépendance, tous les minarets étaient à section carrée à trois exceptions près :
- Les rares mosquées édifiées dans la médina de Tunis par de hauts dignitaires turcs, lesquels n'ont pu adopter la section circulaire comme à Istanbul et ont dû se résoudre au compromis octogonal entre le cercle et le carré.
- Le minaret de la mosquée des immigrants andalous de Testour commençant à sa base par une section carrée et finissant par une section octogonale : le carré commerçant fait ainsi référence à l'octogonal du Turc qui leur a accordé un asile généreux.
- L'unique minaret à section circulaire coiffe à Houmt Souk la mosquée dite «Jamaa Et-Trouk» ou mosquée des Turcs.
Après l'indépendance, une pagaille esthétique — à cet égard — s'est installée: profusion de nouveaux minarets à section octogonale et à section circulaire tout en continuant à construire des sections carrées. Cette incohérence acquise est le signe infaillible d'une raison défaillante.
A qui imputer cette pagaille, ce désordre? A l'élite antiproclamée ou au peuple? Certes, celui-ci ne peut éviter d'être contaminé par la morale bien chancelante de l'élite ; mais, d'instinct, il sait qu'une bonne part de cette élite le mène dans la mauvaise direction. Aussi, dans le langage parlé, il ne se reconnaît pas dans l'élite autoproclamée, étant donné que le peuple, largement majoritaire, contrôle ce langage.
Au début de l'indépendance et de l'autoproclamation, les nouveaux caïds s'adressaient à la foule par l'apostrophe «Ô ! peuple généreux», ce dernier devant rendre l'élite plus riche malgré sa pauvreté. D'où le sens imposé par le peuple à l'expression «peuple généreux» devenue synonyme, jusqu'à nos jours, de «peuple plumé». Plus près de nous, l'urbanisme a progressé géographiquement en zones devenues urbaines. Mais notre parlé établit une distinction — sans exception à notre connaissance — entre quartiers populaires et quartiers huppés. Souvent, en effet, les nouveaux quartiers sont appelés «cités X». Sauf que la «cité Ennasr» finira par s'appeler «Ennasr» tout court, tout comme «El Menzah 6 (Ciss)», «Khezama», «El Manar», «Lac 2 (Deu)» ou «La Marsa Ennassim» ; alors que Cité El Khadra, Cité Ezzouhour et tant d'autres, garderont leur droit de cité. Et si le mot cité est gardé dans «Cité Olympique», c'est parce que ce toponyme se dit en français dans le parlé : les gens du peuple ont ainsi l'air de dire : par principe, nous ne comprenons que notre langue car, les Français, ce ne sont pas nous.
L'ère du faux changement, puisque la continuité est la règle entre 1955 et 2010, a vu la construction de la mosquée de Carthage. Certes le minaret y ressemble à celui de la mosquée de La Kasbah, sauf que la composition architecturale — par ailleurs inspirée de la nouvelle mosquée de Casablanca — y est fort mal inspirée. Qu'on en juge.
La colonnade est un procédé architectural pouvant servir à attirer l'attention du sujet qui se présente. En effet, une ligne de colonnes divise le champ de vision en au-deçà et au-delà mais sans empêcher la transgression. De la sorte, cette frontière en pointillé — un point par colonne — vous arrête tout en vous offrant de vous faufiler entre deux colonnes. Arrêt mais arrêt transitoire et donc attention attirée par l'au-delà. Mais que voit-on dans cet au-delà ? Une deuxième colonnade parallèle à la première à quelques mètres de distance. D'où une redondance irrationnelle car la redondance est une faute en logique. Poursuivons en suivant maintenant l'au-delà de l'au-delà. Deux possibilités existent alors. Ou le regard se perd dans la nature qui entoure la mosquée ; ou bien celle-ci offre des murs presqu'entièrement couverts d'ouvertures surmontées par autant de motifs à arcs ressemblant à des arcades, de sorte que le petit nombre de portes se perd dans le grand nombre de fenêtres.
Et cette fois le regard du sujet, s'il évite de se perdre dans le paysage, il se perd dans la perplexité, celle de ne pas tomber facilement par le regard sur une porte. Mais un temple doit avoir une architecture qui attire l'arrivant et qui le guide vers lui et non une esthétique qui le malmène en le semant. Du reste, se présenter au site selon un abord — restreint par construction — non dirigé vers l'une des doubles colonnades prive l'arrivant de l'arrêt scrutateur déterminé par la colonnade de sorte qu'il n'est même pas sûr d'être l'élu de la perplexité. Point de raison, encore une fois vous dis-je...


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