Ramadan du bon vieux temps était le ciment qui renforçait et soudait les liens entre parents et amis, proches et lointains. Nos ancêtres menaient un mode de vie ramadanesque fécond d'amour et d'affection. L'ambiance était beaucoup plus chaleureuse et conviviale qu'aujourd'hui, à l'abri de l'«intrusion» de la télévision et des nouvelles technologies. Nos jeunes doivent être certainement curieux de savoir comment notre société avait pu braver et endurer le mois saint du carême sans les sacro-saints feuilletons télévisés, proposés à profusion trente jours sur trente au mois de Ramadan, sans «seigneur Facebook» qui s'attelle à nouer une amitié à distance fictive entre les jeunes des cinq continents. Cela aux dépens parfois d'une amitié réelle et d'une relation chaleureuse et affective avec leurs parents proches et lointains et aussi les voisins. Unis par le toit et la géographie La jeunesse d'aujourd'hui et tous ceux qui n'ont pas eu à savourer les traditions du bon vieux temps et de Ramadan d'antan trouvent de nos jours leur grand bonheur à passer leurs soirées ramadanesques, fixés sur l'écran de télévision ou le nez collé à l'ordinateur. L'on passe des heures et des heures à «aimer» et «partager», sans partager le moindre sentiment et la moindre discussion avec l'entourage. Que seuls le toit et la géographie unissent. Sitôt les feuilletons télévisés terminés, la «séance» est illico «levée». Mission accomplie, «bouza», «samsa» et divers breuvages consommés, l'on se donne vite sans beaucoup de chaleur l'accolade, avant de se redonner rendez-vous dans un autre cadre familial, rien que pour suivre un autre épisode du feuilleton qui venait d'intéresser vivement le beau monde de figurants désintéressés. Le grand bonheur sans confort Ah si nos jeunes pairs savaient comment nos grands-mères et grands-pères passaient leurs ramadans en été et différemment en hiver! Ils auraient regretté de ne pas avoir vécu cette belle époque,... Ils se seraient aussi demandés comment leurs ancêtres avaient pu passer leurs soirées ramadanesques sans le TV plasma, la tablette, l'iphone, le chauffage central, sans... et sans... Oui, leurs arrières- parents vivaient tous Ramadan sans cette panopolie d'accessoires de confort des temps modernes. Ils l'ont finalement vécu mille fois mieux que leurs descendants, aujourd'hui. Cela dans une société homogène et au sein de familles où la hiérarchie est scrupuleusement respectée. La vie familiale était réglée comme du papier à musique. Tout baignait dans l'huile. Tout était régi et dominé par l'amour, l'affection, l'altruisme, etc. Au mois de Ramadan, la famille passait les soirées ramadanesques dans une seule grande pièce. Grands et petits, mâles et femelles se réunissaient autour d'un «kanoun» rempli de braises et étincelantes, au sommet duquel «trônait» une grande théière bouillonnante et répandant l'odeur parfumée de sa vapeur. Le thé noir et vert était servi rien qu'aux adultes. C'est la grand-mère qui animait la soirée ramadanesque avec ses contes passionnants. Tout ce beau monde, grands et petits étaient tout ouïe aux récits de M'hammed Ben Soltane, d'El Jazia El Hilalia, etc. En temps glacial et de bourrasques de pluies, les visiteurs, parents et amis étaient invités avec insistance, à sommeiller sur place dégustant avec tout le monde, à l'heure du «shour», le fameux «masfouf» aux raisins secs et au lait frais ainsi que la «mhalbia» (riz au lait). La fête partout! En été, les veillées sont plus longues et plus animées qu'en hiver. Puisque les conditions climatiques sont beaucoup plus favorables aux échanges de visites. Chaque famille fêtait à sa façon ses soirées ramadanesques. Les unes à travers l'invitation de petites troupes de «soulamia». Les autres à travers l'organisation de mini-galas au cours desquels les membres de la grande famille chantaient et jouaient sur certains instruments. Cependant, dans la plupart des cas, c'est à la «darbouka» de combler le déficit d'animation et de mettre en transe toutes celles qui ont un faible pour le «fazzani». Dans les petits villages, les hommes s'arrangeaient souvent, en équipes d'amis, pour louer des boutiques où ils avaient tout le loisir de jouer aux cartes, de réciter en chœur le Coran, de chanter du malouf, etc. Une caisse de coopération était créée dès le premier jour de ramadan, pour financer les divers breuvages avec, en tête de liste, le thé aux fruits secs, «les mkharek et zlabia» et autres extras ramadanesques... Tunis chante et danse Quant à Tunis au mois de Ramadan, c'était alors là autre chose! La capitale d'antan ne savait pas dormir la nuit! Trente jours sur trente, l'ambiance de kermesse règne sous un ciel éclairé de temps à autres par les pétards que faisaient éclater les enfants dans leur quartier. La particularité de Tunis, c'est le coup de canon tonitruant, aujourd'hui hélas absent, annonçant, à chaque fin de journée, la rupture du jeûne. Le coup étant illico succédé par les voix vibrantes et timbrées des «muezzins», fusant du haut de tous les minarets dans les divers quartiers. Le parfum de Ramadan se fait beaucoup plus sentir à Bab Souika, El Halfaouine et autres coins de la Médina. L'ambiance y est exceptionnelle. Il y a partout de longues files d'attente pour acheter les tickets d'entrée aux divers cafés chantants. Où brillent de mille feux les troupes folkloriques. C'est à travers ces manifestations ramadanesques que les grandes figures de la chanson et de la danse folkloriques ont commencé à se faire connaître. Avec, à leur tête, l'immortel Ismaïl El Hattab, Zina et Aziza, Aïcha et Mamia, sans oublier le grand Hamadi Laghbabi dont les spectacles donnés par sa troupe de danse, lors des soirées ramadanesques, ont exalté le grand public. Les salles de fêtes de Madrid, Kortoba et El Fath offraient d'autres menus artistiques. Elles ont vu Ridha El Kalaï, Hédi Mokrani, Hédi Kallel, Hédi Semlali, etc. faire leurs premiers grands pas, cela au sein de la célèbre troupe d'El Manar. Qui a ensuite fait des merveilles sur le petit écran, encore à ses débuts, en noir et blanc. Cela dit, voilà qu'on a vécu ensemble quelques moments forts de l'ambiance de Ramadan du bon vieux temps qui n'a rien à voir avec le mois de Ramadan des temps présents, dominé par une diarrhée de feuilletons, jetant un froid glacial dans nos relations.