Guillemette Mansour répond à des questions que d'innombrables Tunisiens se sont posées depuis toujours. Et si nos concitoyens en sont invariablement restés au stade subjectif de la conscience d'un patrimoine de grande valeur, l'auteur a emprunté la voie la plus objective ; celle des fouilles tous azimuts de tout ce qui compose ce patrimoine, avec une approche érudite qui n'occulte aucune source. «D'où est issu le jelliz tunisien ? Par quelle alchimie mystérieuse la tradition tunisienne du carreau de céramique est-elle née ? Cet art est-il d'Orient et d'Occident ?», s'interroge l'auteur pour nous signifier que beau livre ne signifie pas de s'arrêter aux plastiques qui sont, certes, un régal pour l'œil et l'inconscient collectif, mais de pousser l'investigation aussi loin que le permettent les sources et les ressources. Journaliste spécialisée dans le tourisme et le patrimoine, Guillemette Mansour, solidement secondée par Patricia K. Triki pour la photo, tente donc de retracer l'histoire de cette technique depuis les origines (Antiquité, zellige, carreaux irakiens de la Grande mosquée de Kairouan...) et met l'accent sur le «style Qallaline» de Tunis et son épanouissement sous l'ère ottomane. L'ouvrage développe ainsi les différents aspects de l'art des «Qallaline» : technique, couleurs, motifs, emprunts à la céramique espagnole, ottomane ou napolitaine, mettant en relief toutes les variations du célèbre panneau à bouquet («panneau de Qallaline»), chuchotant que la renaissance du style «Qallaline» au XXe siècle est évoquée à travers les céramistes De Verclos, Tissier, Chemla, Kharraz... Par-delà l'histoire et les techniques Maâdnoussi, Nâ‘oura, Maqroudh, Jneh khotifa, Afset essid... Les motifs aux noms poétiques émaillent ce livre dédié à ces revêtements de carreaux de faïence de Tunisie qui sont bien plus que cela car, par-delà l'histoire, les matériaux, les techniques et les écoles, ce patrimoine typiquement tunisien est aussi un art de vivre. Pour cette raison, l'ouvrage s'intéresse à un aspect peu connu, mais emblématique du patrimoine tunisien, mettant en lien la technique de la céramique avec les traditions architecturales et, plus généralement, avec l'histoire de la Tunisie. Répondant à une curiosité grandissante pour l'architecture traditionnelle et l'art de la céramique, il s'adresse à un large public d'amateurs d'art, collectionneurs, étudiants, visiteurs étrangers... L'accent est particulièrement mis sur la présence du revêtement de céramique en Tunisie à travers les siècles et jusqu'à nos jours, notamment à travers l'iconographie et un choix de citations historiques, proverbes... Chez le «saint-patron» des céramistes de Tunisie L'ouvrage est également un hommage à Sidi Qacem El-Jellizi, maître céramiste exilé d'Espagne, qui illustre à merveille la symbiose entre la dynastie hafside et les réfugiés andalous. Aujourd'hui, une coupole pyramidale à la manière andalouse, couverte de tuiles vertes, domine sa zaouïa (fondation religieuse incluant sa chambre funéraire) devenue aujourd'hui le musée de la Céramique de Tunis. Considéré comme le «saint-patron» des céramistes de Tunisie, cet homme pieux et vénéré est mentionné dans les anciennes chroniques sous le nom d'El-Fassi; sans doute sa famille, en quittant l'Andalousie, a-t-elle d'abord fait escale à Fès avant de s'implanter à Tunis. On lui attribue l'introduction en Tunisie des nouvelles techniques espagnoles, comme la «cuerda seca» à la fin du XVe siècle. L'hommage de l'auteur, en soulignant la place qui lui revient de droit dans la saga du jelliz tunisien, vient ainsi rejoindre un autre hommage témoigné par nos prédécesseurs qui en ont laissé la trace dans la chambre funéraire de Sidi Qacem El-Jellizi, décorée de carreaux «cuerda seca» d'une qualité exceptionnelle. Sous leurs pinceaux des céramistes Un dernier mot sur le Répertoire des Qallaline (potiers tunisois). Stylisés, ramenés à leur quintessence, recomposés et enfin restitués d'un trait vif et spontané, des motifs de diverses origines composent le répertoire des céramistes de Tunis. Sous leurs pinceaux, une synthèse s'est effectuée naturellement entre tous ces motifs qui ont, en réalité, circulé sans cesse de l'Orient à l'Occident, de l'Antiquité aux temps modernes, et d'une rive à l'autre de la Méditerranée. La fleur de lotus chinoise, transmise par les Turcs, se rapproche du fleuron antique. Les «ferronneries» italo-espagnoles (ornements imitant le fer forgé), en se géométrisant, se rapprochent des polygones entrelacés hispano-mauresques. La fleur d'acanthe d'origine antique se confond avec la feuille dentelée «saz» d'Iznik. Les fleurs et mandorles d'inspiration ottomane s'inscrivent dans médaillons circulaires et des décors rayonnants qui rappellent la Renaissance européenne... L'ouvrage Carreaux de lumière-L'art du Jelliz en Tunisie, 156p., mouture française Par Guillemette Mansour (photos Patricia K. Triki) Editions Dad, 2017