La dernière sortie de Nida Tounès, qui a décidé de geler l'adhésion de Youssef Chahed au parti — ce même Youssef Chahed qu'il avait pourtant désigné à la tête du gouvernement — relève du pathétique. Ou du tragicomique. Et cela n'augure rien de bon dans les semaines à venir. Un petit rappel s'impose. Il faut daigner parfois sortir des grands moules du déterminisme historique. La science politique n'explique pas tout, ne résout pas toute l'évolution humaine. Sous nos cieux, la bêtise et la folie — particulièrement cette dernière — ont souvent été l'une des caractéristiques essentielles du pouvoir et des gouvernants. Et cela se vérifie au fil des siècles. Depuis l'occupation espagnole au début du 16e siècle, l'irruption des Turcs, et les fins des dynasties hafside puis mouradite. Une tendance qui a été corroborée, par intermittence tout au long de la dynastie husseinite (1705-1957), de la Première République (1957-2011) et même après la révolution. Et l'on peut même souscrire qu'en Tunisie, la proportion de déséquilibrés mentaux dans les sphères du pouvoir dans son acception large est nettement supérieure à la moyenne nationale, qui demeure somme toute dans les normes universellement observées ou admises. Ajoutons-y le fait que nombre de ceux qui font carrière dans la politique se recrutent volontiers sous nos cieux parmi les ratés, et l'on saisira l'ampleur de ce phénomène. Tout ça pour dire aussi que l'institutionnalisation demeure le parent pauvre de notre système politique. Clientéliste à souhait, ce dernier en appelle souvent à la garde prétorienne et aux janissaires de service. D'où les perpétuelles excroissances perverties de la politique et le fréquent retour de la mentalité des milices. Le pire dans tout cela, c'est qu'une guerre de factions et coteries, dans le giron présidentiel, a fini par déborder sur les institutions de la République, prenant au besoin l'allure d'une lutte de palais. Les deux protagonistes de ce feuilleton sinistre sont en effet deux illustres inconnus issus de la majorité présidentielle au lendemain des élections législatives et présidentielle de 2014. Qu'il s'agisse de Hafedh Caïd Essebsi, directeur exécutif de Nida et fils du président de la République, ou de Youssef Chahed, le topo est le même, du moins initialement. Seulement, Youssef Chahed a été porté aux affaires à la tête du gouvernement dit d'union nationale à l'issue de longs conciliabules couronnés par le désormais tristement célèbre Document de Carthage. La coalition majoritaire Nida-Ennahdha l'a cautionné, avant que Nida ne renverse la vapeur et change de fusil d'épaule. Entre-temps, le parti de la majorité s'est scindé en plusieurs factions, au moins cinq formations distinctes, tandis que le fameux consensus Nida-Ennahdha a volé pratiquement en éclats. Ennahdha en profite pour se renforcer, sachant que, même immobile, sa mouvance engrange les gains, sa force reposant essentiellement sur la faiblesse et la dispersion du camp des modernistes. Et le pire c'est que, quant au fond, point de divergences fondamentales. Ce sont plutôt les considérations personnelles qui l'emportent. Cela oscille entre la mauvaise foi, les coups de tête et les sautes d'humeur. Bien pis, la crise politique désormais structurelle et all'aperto accuse et accentue la crise économique, après avoir plombé les institutions. Et justement, la crise économique enfle. La paupérisation s'amplifie au fil des jours, les prix et l'inflation augmentent vertigineusement, les investissements calent, au même titre que les créations d'emplois et les exportations. Le dinar dégringole, les déficits des balances commerciale et des paiements s'accumulent. Le pouvoir d'achat des citoyens s'érode fatalement, l'endettement atteint des seuils intolérables et nous subissons les contrecoups du diktat des créanciers, FMI en tête. C'est dire que les urgences sont ailleurs. En tout cas aux antipodes des ego démesurés. Le chaudron social bout et l'embrasement est à l'affût. Et Nida Tounès, toutes instances confondues, demeure toujours sans congrès. De sorte que ses dirigeants, ou ce qu'il en reste, demeurent autoproclamés en quelque sorte. Ce qui ne les empêche guère de s'ériger, le temps d'une boursouflure de néant ou d'accès de rage scissionniste, en purs et durs gardiens du temple. Ou capitaines du bateau ivre et à la dérive. Il y a quelques décennies, l'écrivain albanais Ismaïl Kadaré publiait un roman intitulé «Le général de l'armée morte». Sous nos cieux politiques, il va sans dire, point de général mais l'armée morte y est.