Qui mieux que Chokri El Ouaer peut apprécier le métier d'entraîneur des gardiens à sa juste valeur? Connu pour son charisme sur le terrain et sa maîtrise du jeu en face à face, Chokri El Ouaer a occupé les bois de l'équipe nationale durant dix ans, alors que son palmarès impressionnant (une véritable collection de championnats, de coupes de Tunisie et de titres continentaux et arabes) en disent long sur son métier et donc sur sa parfaite connaissance du poste d'entraîneur des gardiens. Ce gardien, hissé au panthéon des meilleurs portiers de l'histoire de notre pays et élu meilleur gardien du premier tour de la Coupe du monde 98, nous apporte sa vision de l'apport de l'entraîneur des gardiens. Chokri El Ouaer dissocie d'entrée l'approche psychologique de l'approche théorique, relative à la formation de base des gardiens et aux ficelles du métier, l'une devant être le complément de l'autre pour former un tout indissociable et faire naître chez le jeune gardien une vocation, un caractère bien trempé et la soif d'apprendre et de progresser: «Théoriquement, le football est une activité qui offre des possibilités d'interaction et d'intégration sociales et favorise la prise de conscience de son corps. Or, en ce qui concerne la formation de gardien de but, et dès le plus jeune âge, l'on ne doit pas considérer le talentueux gardien en herbe comme un fournisseur de travail seulement! Il doit prendre du plaisir avant tout. Viser la compétitivité du gardien à terme est un noble objectif mais le côté humain doit prévaloir en début de cycle. Il ne faut pas être obnubilé par la «fabrication» de champions à tout prix, mais accompagner l'émergence d'un portier prometteur! La préparation athlétique ne doit pas prévaloir au détriment de la communication et des conseils prodigués, car, en fin de compte, l'intelligence dans le jeu l'emporte toujours sur la masse musculaire... Il est primordial qu'il soit entraîné et entouré par des personnes compétentes. Il s'agit de mettre ici l'accent sur la qualité de la formation des entraîneurs des gardiens de but dans les domaines physiologiques, psychologiques et pédagogiques. Il faudrait placer les entraîneurs les plus compétents chez les plus jeunes, car les débuts dans le foot organisé sont si importants, décisifs même pour la suite... D'où l'importance de suivre des entraînements adaptés aux rythmes individuels». Et notre interlocuteur d'enchaîner: «Chez les jeunes, il y a forcément un tri qui s'opère (les différentes sessions de tests qui ont lieu en été). Par la suite, l'entraîneur des gardiens, doublé d'une casquette de pédagogue, doit concourir à la construction de l'estime de soi du gardien et du respect de l'autre. Lui inculquer l'esprit de compétition afin que les gestes élémentaires du gardien soient intégrés et assimilés correctement. Le jeune gardien doit rêver, mais il a aussi le droit de ne pas être un champion et bien entendu le droit d'en devenir un! Car forcément libéré et nullement sous pression, il peut laisser libre cours à son talent. A un certain âge, le plus souvent après 15-16 ans, s'il en a le talent et l'envie, le jeune portier peut intensifier sa pratique sportive, et c'est à l'entraîneur des gardiens de mettre en place les mesures nécessaires afin de réduire les risques imputables à la précocité excessive de ce futur gardien d'élite. Il n'est pas excessivement difficile de déceler, identifier et détecter chez un jeune gardien les traces d'un instinct de grand portier. Ce faisant, et après-coup, le formateur de keepers doit rapidement faire en sorte que le jeune portier intègre la pratique du sport de haut niveau comme un réel besoin qu'il associe d'une part à un défoulement et d'autre part à un épanouissement. En faisant office de révélateur, le football donne certes l'occasion au jeune gardien de découvrir ses limites mais aussi de trouver les outils qui lui permettront de les dépasser ». Un vieux briscard, l'âge de maturité du gardien? «Le rêve de tant de jeunes gardiens de devenir un jour le nouveau Attouga dépend largement du staff technique qui veille sur leur progression. L'entraîneur des gardiens est un personnage essentiel et capital dans ce milieu, d'autant plus qu'il se veut pédagogue. Transmettre son savoir est une forme d'enseignement. On enseigne une discipline, c'est-à-dire la technique d'un sport. Dans ce triangle pédagogique, l'entraîneur des gardiens veille à trouver l'harmonie entre le portier et le sport, ce qui exige doigté, précision et crédibilité. Il faut bien entendu avoir les qualifications nécessaires pour les guider, les former, les éduquer et les entraîner, et veiller en particulier à ce qu'ils comprennent les transformations biologiques et psychologiques qui accompagnent le processus de maturation d'un jeune gardien. Il ne faut pas avoir pour objectif de les produire dans l'arène, réglés jusqu'à la moindre courbure de l'auriculaire! Mais leur transmettre certaines valeurs. Le football constitue un moyen d'intégration socioculturelle privilégié et prépare à la citoyenneté avant tout. Certes, à l'époque, les effectifs étaient réduits et le staff se réduisait à un adjoint qui était surtout chargé de la préparation des gardiens de but. Ce n'est plus le cas actuellement. On a aussi l'habitude de dire qu'un gardien devient bon avec l'âge et l'expérience. Cependant, pour les jeunes portiers, gagner en expérience est indissociable du fait d'améliorer sa propre technique en attendant de devenir un "vieux briscard"». Du point de vue enseignement des gestes qu'il faut, Chokri El Ouaer pense aussi que les déplacements constituent la base du gardien de but: «Le gardien est certes le poste qui se déplace le moins sur le terrain mais il est primordial qu'il sache se déplacer. Le football dit moderne implique une rapidité de jeu indiscutable. Il faut avoir une lecture du jeu optimale, beaucoup de vista et c'est à travers une bonne communication avec l'entraîneur des gardiens que le portier se bonifie, ne s'adosse pas seulement aux piliers de sa défense et forge sa personnalité. C'est tout une culture et un état d'esprit. Certes, le don est important et c'est inné, mais l'anticipation chez un gardien peut tellement être payante. C'est une philosophie de soi que de prendre ses responsabilités et marquer son territoire. Du point de vue mental, travailler son « timing » lors des sorties aériennes peut dissuader les attaquants adverses. Si on fait preuve de vélocité et d'assurance, ils y réfléchiront à deux fois avant de venir se frotter à un gardien qui n'a pas peur du contact et qui se démarque par sa présence et sa prestance. Vous savez, quand j'ai intégré l'Espérance dès mon plus jeune âge, étant issu d'une famille «sang et or», mon talon d'Achille était les balles aériennes et c'est à force de travail et de persévérance que j'en ai fait un atout. J'ai fini par apprivoiser ma hantise des sorties aériennes que je considérais comme hasardeuses pour en faire un atout et un mécanisme de relance du jeu et de procuration d'assurance. Reproduire les mêmes gestes, encore et toujours, finit par payer à terme. La recherche permanente du geste efficace, le souci du détail, voilà la recette du succès. Pour accompagner la progression du gardien et corriger sa trajectoire, l'entraîneur des gardiens doit opérer via une démarche méthodologique pointue. A défaut d'être un ex-gardien couronné et titré, il doit surtout connaître son métier sur le bout des doigts. C'est dire que le fait que la Fifa ne reconnaît pas le diplôme d'entraîneur de gardiens de but est à mon avis préoccupant vu l'importance et la prédominance de ce poste au sein du staff technique. Certes, la Fifa a laissé le soin à la FTF (aux fédérations) de délivrer un diplôme fédéral, d'organiser des cycles de formations et des stages, mais il faut authentifier et régulariser la fonction de coach des portiers car il y va de l'évolution d'un poste sensible qui a une incidence directe sur les résultats et donc sur la bonne marche de l'association».