Par Moëz Majed Une agression n'est que l'ultime échec de la parole et dans la brutalité de l'acte se trahit la désespérante stérilité de l'esprit. Notre peuple en sait quelque chose, lui qui a enduré la sourde répression d'un régime borné craignant la parole plus que toute autre chose et essayant, en vain, de la lui confisquer. Que n'a-t-on payé pour reconquérir la parole ? Que de martyrs ! Que de larmes ! Que de souffrance et d'espoir ! Et quand une aube nouvelle s'est levée sur nos cœurs, nous nous sommes réveillés avec notre parole enfin libérée. Aragon disait : «La parole n'a pas été donnée à l'Homme, il l'a prise». Et notre peuple a si chèrement payé son droit à une parole libre, qu'il nous est aujourd'hui insupportable de voir un homme se faire agresser simplement parce que ses paroles ont déplu. Oui, il nous est insupportable de voir le cinéaste Nouri Bouzid se faire agresser pour avoir exprimé librement ses idées. On peut aisément penser qu'il s'est aussi fait agresser car il était Nouri Bouzid. Sans partager les opinions du cinéaste sur la question du lien entre religion et Etat et sans adhérer au discours qu'il a pu exprimer sur différents médias, je ne peux concevoir qu'on puisse s'en prendre à son intégrité physique pour manifester une divergence de point de vue. Plus précieux que l'opinion de Nouri Bouzid, il s'agit là de s'élever pour défendre son droit à l'exprimer librement. Voilà déjà plus de deux siècles que Voltaire écrivait : «Monsieur, je ne suis pas d'accord avec vos idées, mais je suis prêt à prendre les armes à vos côtés pour que vous puissiez les exprimer». Ainsi il est de notre devoir de nous adresser aujourd'hui à l'agresseur de Nouri Bouzid et à ses semblables pour leur dire : «Nous sommes tous des Nouri Bouzid». Et si nous nous sommes si péniblement défaits de la brutale tyrannie de ce couple «Thénardier» qui nous a gouvernés pendant de si longues années, ce n'est certainement pas pour nous soumettre aux grotesques prescriptions d'une milice de «bonnes mœurs» ou d'un autoproclamé «émir des croyants». A tous ceux qui voudraient faire taire les artistes de ce pays, je voudrais rappeler ces vers d'Apollinaire: «Fondés en poésie Nous avons des droits Sur les paroles qui font et défont l'Univers». Alors, à ces tortionnaires en herbe, je voudrais rappeler, qu'avant eux, les agents de Ben Ali ont échoué à confisquer la parole à tout un peuple. Et qu'il est bien fou, celui qui veut faire taire un poète et bien naïf qui pense pouvoir cacher sous un simple voile la beauté d'une femme.