Cette image sera automatiquement bloquée après qu'elle soit signalée par plusieurs personnes.
Noura Borsali (Forum de citoyens tunisiens indépendants) : L'essentiel, c'est de rester à l'écoute des Tunisiens Transition Démocratique - 3 questions à :
1- Comment évaluez-vous la décision de l'Instance supérieure d'opter pour le mode de scrutin de liste à la représentation proportionnelle avec les plus grands restes ? - Ce choix a été fait par un vote dans lequel une majorité s'est exprimée en sa faveur. Cela se justifiait par la possibilité donnée aussi bien aux petits partis qu'aux indépendants de pouvoir accéder à l'Assemblée constituante. Aussi sera-t-elle une sorte de microcosme partisan. J'aurais souhaité personnellement que le mode de scrutin soit mixte, alliant les deux modes proposés par les experts de l'Instance : le mode uninominal à deux tours et le mode de scrutin de liste à la proportionnelle. J'ai défendu cette position au sein de l'Instance par deux fois mais nous étions très minoritaires. En fait, je pense qu'en dépit de sa complexité, ce mode s'adapte mieux à la situation exceptionnelle que nous vivons en ce sens qu'il exprime les deux positions exprimées par les Tunisiens, qu'il est fidèle à la révolution qui s'est faite sans partis et sans leaders, qu'il répond d'une certaine façon au déficit des partis dont la plupart ne représentent qu'eux-mêmes et qu'il permet à la fois de donner la chance aux partis, en formant des coalitions, d'être de la partie. En fait, c'est un système qui favorise en quelque sorte à la fois les individus et les partis. Je demeure convaincue que le mode choisi par la majorité favorise la domination des partis. Et c'est pour toutes ces raisons que je me suis abstenue lors du vote qui a porté sur le mode de scrutin. J'aurais souhaité que nos experts nous fassent une simulation à propos du mode mixte et le travaillent en tenant compte des spécificités de notre pays. Il ne s'agit en aucun cas de suivre l'exemple allemand où ce mode mixte est utilisé depuis les années cinquante, ni celui de la Bulgarie qui l'a utilisé pour élire sa Constituante en 1990. Il s'agissait, à mon sens, de trouver une voie proprement tunisienne. De toute façon, aucun mode n'est parfait. Et dans tous les cas, il est nécessaire de mener une campagne de sensibilisation et d'explication du mode qui sera en définitive choisi ; qu'il soit uninominal à deux tours, à la proportionnelle ou mixte. L'essentiel, c'est de rester à l'écoute des Tunisiens dont bon nombre veulent qu'un référendum porte sur les modes de scrutin proposés. C'est dire à quel point est fort, chez nos concitoyens, le désir de participer à la vie politique et de choisir par eux-mêmes le moyen qui leur permettra de faire élire leurs représentants à l'Assemblée constituante. Aspirations fortement légitimes. 2- Quelle est votre réaction vis-à-vis de la mesure relative à l'inéligibilité des personnes ayant exercé une fonction de responsabilité au sein du RCD durant les 23 dernières années ? - Je ne suis pas défavorable à ce genre de mesure que j'ai appuyée. Car il n'y a pas de transition véritablement démocratique, c'est-à-dire de passage de la dictature à la démocratie, avec les mêmes forces qui ont soutenu et porté la dictature et contre lesquelles s'est exprimé et s'est révolté le peuple en faisant sa révolution. Rappelons que les mots d'ordre de cette révolution ont porté également et fortement sur la dissolution du RCD. Mais cette mesure ne touche en aucun cas les militants de base de ce parti, ni ceux qui se sont déjà constitués en partis nouvellement créés. Les militants du RCD pourraient se présenter aux élections en dehors de leurs responsables qui ont conduit le pays à une crise sans merci. Je voudrais quand même rappeler à ceux des rcédistes qui ont protesté récemment contre cet article 15 que la majorité des Tunisiens ont été exclus pendant de longues décennies de la compétition électorale à cause des systèmes électoraux mis en place et des différentes falsifications des résultats, et ce, pour exclure tous ceux qui n'étaient pas au parti au pouvoir. Nous ne sommes absolument pas pour la vengeance mais nous aimerions demeurer fidèles à cette révolution et à ses aspirations à une vraie démocratie. Cette exclusion de la compétition électorale des représentants de l'ancien régime a été jusque-là —et dans toutes les transitions démocratiques qui ont réussi de par le monde— un des principes fondateurs des démocraties qui sont nées et une des conditions du succès de la transition démocratique. 3- Quel regard portez-vous sur la décision relative à la parité hommes-femmes sur les listes de candidatures à la prochaine Constituante ? - Ce vote majoritaire grâce également à nos hommes (32 femmes et 53 hommes ont voté pour la parité) est un événement historique qui n'a pas été, hélas, célébré comme tel dans nos médias. Des titres de la presse étrangère ont salué cette décision. L'article 16 adopté stipule en effet que toutes les listes électorales devront être composées de manière alternée d'hommes et de femmes. Quand les listes n'obéiront pas à ce principe, elles seront tout simplement invalidées. La Tunisie a toujours été à l'avant-garde sur le plan des droits des femmes même si l'égalité effective n'est pas encore acquise. Des pays africains sont, sur la question de la parité, plus avancés que nous. Le Sénégal, par le biais de son Assemblée nationale, a voté le 14 mai 2010 une loi instituant la parité absolue hommes-femmes dans toutes les institutions totalement ou partiellement électives. Au Rwanda, 52% des parlementaires sont des femmes, etc. Au Sénégal, le principe de la parité a été introduit dans la Constitution. Je voudrais aussi rappeler que le protocole à la Charte africaine des droits de l'Homme et des peuples relatifs aux droits des femmes stipule, dans son article 9, «la participation paritaire des femmes dans la vie politique». Je pourrai aussi citer des conventions internationales, onusiennes appuyant ce même principe. Cela dit, les Tunisiennes ont participé activement à la révolution qui se veut porteuse de valeurs telles que l'égalité, la justice, la dignité…que nous nous devons de concrétiser dans un pays qui a connu sa première révolution féminine en 1956. 55 ans après, les Tunisiennes peuvent se prévaloir de cette parité qui permettrait par ailleurs de corriger l'exclusion des Tunisiennes de la première Constituante qu'a connue notre pays en 1956. Pourtant, nos aînées ont participé activement à la lutte de libération nationale. La parité, 55 ans après, sera une occasion de les réhabiliter. Par ailleurs, le monde entier suit la révolution tunisienne qui constitue aujourd'hui un modèle, particulièrement pour le monde arabe et musulman. La société civile marocaine, appuyée par leur ministre Nozha Sakli, se bat pour la parité pour les élections de 2012. L'exemple tunisien pourrait leur ouvrir la voie car nous avons montré jusque-là que tout était possible. Ceci dit, la parité votée ne signifie en aucun cas que la moitié des députés de la Constituante seront des femmes. Nous sommes loin du compte. En réalité, la parité n'a qu'une valeur symbolique puisque, compte tenu du mode de scrutin choisi, les femmes ne pourront être à la Constituante que si elles sont têtes de liste ou alors faisant partie d'un parti qui s'imposerait comme majoritaire. Une autre bataille attend les femmes : celle de pouvoir exiger la parité au niveau des têtes de listes de partis ou d'indépendants. Je propose aux partis ou aux fronts qui se constitueront de réserver les têtes de la moitié de leurs listes aux femmes pour qu'elles soient quelque peu représentées à la Constituante. Le chemin à faire est encore long désormais.