L'Association des magistrats tunisiens (AMT) donne l'impression, ces dernières semaines, de s'être prise dans une spirale d'enchères à n'en plus finir et de déclarations et de communiqués dénonçant tout et s'opposant systématiquement à tout ce qui s'entreprend dans le secteur de la justice. Qu'il s'agisse de la révocation par le ministre de la Justice, fin mai dernier, de 82 juges, de la grève qui s'en est suivie à l'initiative du Syndicat des magistrats tunisiens (SMT) ou de l'adoption, jeudi dernier, par le Conseil des ministres du projet de loi portant création de l'Instance indépendante de la magistrature avant qu'il ne soit soumis à l'Assemblée nationale constituante pour discussion et adoption définitive, l'AMT s'est distinguée par l'adoption de positions qui n'ont fait qu'accentuer davantage la division au sein des magistrats. D'abord, l'AMT a dénoncé la grève observée, début juin, à l'appel du syndicat pour protester contre la révocation des 82 juges en question sans avoir été entendus pour se défendre contre les accusations dont ils sont l'objet. L'AMT a par la suite décidé d'observer une grève ouverte de 3 jours (les 13, 14 et 15 juin), et ce, à l'initiative de son conseil central en vue de s'opposer à la décision de révocation de ces mêmes juges, avec une nuance quand même, que Mme Kannou, présidente de l'AMT, a tenu à mettre en exergue : «L'Association ne défendra aucun juge convaincu de malversation ou de corruption». Où est la vérité ? Pour ce qui est de la création, sur initiative du ministère de la Justice, d'une instance provisoire de la justice judiciaire qui viendra remplacer le Conseil supérieur de la magistrature dissous depuis la révolution, l'AMT a fait paraître, le 22 juin, un communiqué de trois pages dans lequel elle critique le projet gouvernemental, estimant qu'«il n'a pas fait référence à l'indépendance financière et administrative de l'instance et qu'il accorde de larges prérogatives au ministre de la Justice». L'AMT souligne également que la future instance «qui ne donne aucune garantie pour l'indépendance de la magistrature ne peut, en aucun cas, constituer une avancée sur la voie de l'édification d'un pouvoir judiciaire indépendant qui protège les droits et les libertés, et assure la primauté de la loi et l'indépendance de la justice». Dans un communiqué diffusé vendredi 23 juin, le comité exécutif de l'AMT s'en prend à la présidente du Syndicat des magistrats tunisiens (SMT) pour ses déclarations selon lesquelles le syndicat est parvenu à un accord avec le ministère de la Justice sur la composition de l'instance provisoire de la magistrature. L'AMT considère qu'elle constitue la structure la plus représentative des magistrats et rappelle ses rounds de négociations avec le département de tutelle. «Les négociations ont abouti, précise le communiqué, à l'engagement du ministère à ce que la future instance indépendante de la magistrature soit composée exclusivement de magistrats et qu'elle soit présidée par le premier président de la Cour de cassation. Seulement, le dialogue avec le ministère n'a pas été couronné d'une solution à caractère consensuel puisque le ministère a refusé de conférer à l'instance des attributions décisionnelles, de la considérer comme une instance indépendante et de lui réserver un siège en dehors du ministère». L'AMT appelle, d'autre part, le ministère de la Justice à expliciter sa position vis-à-vis des déclarations du SMT et met en garde «contre ce qu'elle appelle les tentatives de confisquer la représentativité des magistrats et de conclure des accords, au nom des magistrats, avec des parties qui ne représentent qu'elles-mêmes». Dernier rebondissement dans l'affaire opposant l'AMT au ministère de la Justice et au SMT : la rencontre qui a groupé samedi 23 juin une délégation de l'Association avec Hamadi Jebali, chef du gouvernement. D'après les déclarations qui ont sanctionné cette rencontre, «les points de divergence et de convergence à propos de l'Instance provisoire de la magistrature ont été passés en revue», sans pour autant préciser s'il y a eu un accord ou un compromis sur la question.