Il s'agit là d'un néologisme proposé par l'un de nos compatriotes, outré par les incongruités qu'il constate, ces derniers mois, en Tunisie. Cela découle du terme «boujadi» qui, apprend-on, était utilisé au Maroc, du temps du Protectorat, pour désigner quelqu'un d'ignorant ; on disait alors c'est un «boujadi» (bou-jadis), quelqu'un de l'ancien temps. Aujourd'hui, dans les trois pays du Maghreb, cela veut dire nouvelle recrue, débutant, nouveau dans un travail, en apprentissage, maladroit, incapable, niais, incompétent, naïf, bleu... Les dires et les actions d'un tel personnage seraient donc désignés par ce terme «boujedisme» (prononcé à la tunisienne). Ceux qui nous gouvernent depuis décembre 2011 se réfèrent souvent à leur manque d'expérience dans la conduite des affaires du pays pour excuser les manquements et les gaffes qu'ils commettent. Cela n'aurait pas été grave, après tout on ne naît pas ministre, et l'administration tunisienne dispose de nombreux cadres expérimentés qui auraient pu limiter les dégâts. Le problème est qu'il n'y a pas que les premiers responsables des divers départements qui manquent d'expérience : on a bombardé de nouveaux venus, des hommes liges, tout aussi inexpérimentés que leurs patrons. Et il faut des années pour acquérir l'expérience requise. En attendant, les gaffes, les maladresses s'accumulent et font des dégâts. Le porte-parole de la présidence de la République a démenti une information relayée par certains médias et réseaux sociaux, concernant l'avion présidentiel qui aurait été contraint d'atterrir à l'aéroport de Boston, celui de New York n'ayant pas été averti par les services de la présidence. On apprend donc que l'avion s'est bien posé à New York pour déposer la délégation tunisienne avant d'aller stationner à Boston. Fort bien ; mais il semble qu'il y a eu un retard, puisque le président n'a pas assisté aux discours de certains autres chefs d'Etat dont le président américain avec lequel il aurait pu échanger quelques mots. Prenons acte du démenti qui aurait dû être plus explicite pour éliminer toute équivoque (il n' y a pas de fumée sans feu). Notre inénarrable ministre des Affaires étrangères n'en rate pas une. Lors d'un point de presse avec la secrétaire d'Etat américaine, il n'a rien trouvé de mieux que de s'adresser à elle en l'appelant «Mrs Hillary». Une familiarité très mal appréciée. On prétend même qu'il aurait prononcé «Miss», la rendant du coup «mademoiselle». Le journal électronique Kapitalis relève aussi des fautes de grammaire et une mauvaise prononciation de l'anglais, dans la courte intervention de notre ministre. Voilà qui ne va pas contribuer au prestige de notre pays déjà mis à mal par les déplorables événements du 14 septembre. Et à propos de cette attaque contre l'ambassade américaine, l'ineffable députée nahdhaouie Mme Souad Abderrahim considère qu'il ne s'agit là que «d'un événement passager». Voilà qui va conforter et faire plaisir aux Américains qui ne décolèrent pas et n'apprécient pas du tout les dégâts occasionnés à leur représentation diplomatique et à leur école. Cet «événement passager» va coûter des milliards à l'Etat tunisien et a déjà terni l'image du pays au point que la chancelière allemande a renoncé à visiter notre pays et que des délégations d'investisseurs ont annulé leurs séjours d'affaires en Tunisie. Elle n'est pas la seule à minimiser la gravité des événements et à dire des incongruités. Ainsi notre ministre du Tourisme a estimé «exagérée» la décision des Américains d'évacuer une bonne partie de leur personnel. Ce qui lui a valu d'être la risée de plusieurs médias étrangers. Notre inimitable président de la Constituante estime que la retransmission télévisée des débats à l'Assemblée donne une image «embrouillé». Jusqu'ici, les médias ont été accusés de tous les maux et surtout d'évoquer les sujets qui fâchent. Avec M. Ben Jaâfer, la télévision devient coupable d'embrouiller la Constituante. Il préférerait que tout se fasse à huis clos et que le peuple tunisien ne sache rien de ce qui se décide en son nom. Et on ose parler de transparence et de démocratie. Notre ministre des Droits de l'homme et de la Justice transitionnelle n'a pas du tout apprécié les interventions de MM. Kamel Laâbidi et Abdelwaheb El Heni devant le Conseil des droits de l'homme des Nations unies. Il leur reproche d'avoir dit des vérités sur la situation déplorable des droits de l'Homme devant une instance étrangère. Il aurait préféré, comme du temps de Ben Ali, tout cacher et empêcher tout le monde de parler et de dire le contraire c'est à dire les réalités. Pour un supposé défenseur des droits de l'Homme, c'est à dire aussi des libertés, on aurait pu avoir mieux. Faut-il aussi parler de cette femme violée et traduite en justice, non pas comme victime mais en tant que coupable ? Ou de cet illuminé qui prétend que la polygamie aide à lutter contre le cancer de l'utérus ? Ou de cet autre qui veut changer les traditions tunisiennes et imposer le vendredi comme jour de congé hebdomadaire ? Il en faudrait des chroniques et des pages pour relever la richesse de ce «Boujedisme» qui sévit. En attendant ne perdons pas le nord.