Hier encore, la plénière se devait d'élire le neuvième membre de l'instance supérieure indépendante des élections (Isie) sans y parvenir. Une nouvelle séance sera tenue vendredi 26 juillet pour tenter de compléter la pièce manquante du puzzle. Mustapha Ben Jaâfar, qui a présidé la deuxième partie de la plénière, a appelé tout le monde à faire preuve de responsabilité pour sortir de l'impasse. Ces multiples reports bloquent le parachèvement du processus électif et de facto constitutif de cette instance des élections, attendue par tous. Malgré les entreprenants rounds de négociations et plusieurs tours de vote, le consensus n'a pu être obtenu autour d'un candidat parmi les quatre en lice, représentant le secteur des finances publiques au sein de la future Isie. Une fois n'est pas coutume, la bataille qui faisait rage dans les coulisses et répercutée en plénière sur les bulletins de vote, n'était pas engagée entre Ennahdha, ses alliés et les autres. Mais bien entre les députés du bloc démocratique et un groupe d'indépendants. A la candidature de Wafa Khouaja, laborieusement soutenue par une partie de l'opposition, quelques élus ont fait barrage. Si l'on sait que la désignation des membres de l'Isie se fait aux deux tiers, soit 145 voix, le tiers restant dispose du pouvoir de blocage. Résultat : dans les deux tours, Wafa Khouaja n'a pu recueillir les deux tiers nécessaires à son élection. Elle n'en est pas loin, toutefois. Puisque la première fois, la candidate favorite a obtenu 136 voix, et 127 au deuxième tour. Le nombre de voix perdues entretemps est dû au départ de certains députés, la séance s'était prolongée jusqu'à 16h. Les trois autres postulants de cette même catégorie, spécialiste en finance, sont loin du compte, avec un maigre suffrage allant de zéro à 43 voix maximum. Engagés à ne pas dire non ! Ennahdha, d'après son député Néji Jemal, membre de la commission de tri, explique que son parti, sans être passionnément favorable à l'élection de Mme Khouaja, ne s'y opposerait pas. D'ailleurs, la candidate n'aurait pu obtenir un tel score, sans l'aval du groupe parlementaire majoritaire à l'hémicycle, fort de ses 89 voix. Et le député nahdaoui d'ajouter: «Nous nous sommes engagés à ne pas refuser ce nom », finit-il par lâcher, presque avec regret. Jusque-là, les négociations ont raisonnablement prévalu. Les députés ont pris le temps de discuter entre eux, pour désigner les profils les plus méritants, capables de remporter la majorité des voix sans difficultés particulières. Les candidats désignés a priori sont censés être politiquement indépendants et les plus compétents qui soient du panel. Des tours de table se sont organisés de manière informelle entre les présidents des groupes parlementaires, pour se mettre d'accord sur des noms, avant l'étape ultime. Ce processus consensuel étant inévitable, aucune partie ne peut prétendre, dans la configuration actuelle de l'ANC, disposer des deux tiers des voix. Seulement, hier cette méthode a montré ses limites. Sur la catégorie des finances publiques, il n'y a pas eu accord. Le meilleur profil écarté La question qui se pose alors, a-t-on bien fait de choisir ce mode d'élection? Et Nadia Chaâbane de répondre: « Sur des modes de désignation d'instance indépendante, il y avait le choix entre deux manières de faire, soit des nominations. Dans ce cas, ce sont les partenaires politiques qui nomment. Or, nous avons opté pour un mode, lequel, sur la durée, présente des avantages et peut bénéficier d'un capital de confiance quant à son exécution. L'audition et le vote parlementaire demeurent, en effet, les systèmes les plus démocratiques. Contrairement aux désignations. Et par le vote aux deux tiers, nous avons bel et bien dépassé le blocage de la majorité politique. Du fait que plusieurs partis peuvent disposer du quart bloquant. Le consensus a le temps de se construire autour de personnes indépendantes et compétentes. Les personnes élues doivent être par conséquent très compétentes». «Je dois malheureusement dire, a regretté la députée du parti El Massar, qu'il y a eu une exclusion violente du meilleur profil de tous les candidats qui ont postulé, à savoir Alexandra Leila Hovelacque. C'est quelqu'un qui a fait des études de droit sur les lois électorales, qui a accompagné des processus de mise en place d'instances d'élections dans plusieurs pays, et qui dispose d'une expérience certifiée dans le domaine. Elle a été écartée à cause de deux paramètres ; le fait qu'elle soit binationale, tuniso-française. Par conséquent, un message extrêmement négatif a été envoyé à tous les binationaux qui sont plus d'un million de personnes. Cela concerne aussi des centaines de milliers de Tunisiens vivant en Tunisie, qui n'ont jamais quitté ce pays. Elle a aussi été écartée, parce que issue d'un couple mixte ; le père est français, la mère est tunisienne. Elle incarne quelque chose qui est à contre-courant et ne correspond pas à la vision d'un certain nombre de députés. Au lieu d'opter pour la compétence, ils ont basculé dans une vision restrictive et étriquée de la société. C'est très dommageable pour cette Tunisie en passe de se construire, et dont une partie de ses enfants se trouve exclue de fait. De plus, le premier paramètre relatif à la compétence a été bafoué », a-t-elle vivement accusé. Président ou rien ! Une fois l'Isie composée, le président sera élu parmi ses neuf membres qui se porteraient volontairement candidats. Cette fois-ci, l'élection se fera à la majorité absolue, soit à 109 voix. A partir de là, l'Instance sortira au grand jour et théoriquement deviendrait opérationnelle. Entretemps, l'avocat Kamel Ben Massaoud, membre élu de l'Isie, autodésigné président de l'Instance, a démissionné en signe de protestation, a-t-il déclaré, contre l'opposition qu'il a rencontrée pour accéder à la présidence. Poste qu'il a senti lui revenir de droit, ou qui lui a été promis ensuite enlevé. Mystère! Sans beaucoup de regret, visiblement, le démissionnaire a été remplacé de suite. La journée du vendredi 26 juillet verra-t-elle la naissance de l'Instance supérieure des élections ou y aura-t-il un ultime report? Une chose est sûre, les élus du peuple se doivent de trouver une porte de sortie ce vendredi ou après. L'Instance supérieure des élections est, in fine, décisive pour conduire le processus électoral, mais non la seule. La vraie bataille se jouera, comme certains observateurs ne cessent de le répéter, dans les bureaux de vote, où les achats et détournements de voix et autres mauvaises pratiques mettent en péril, de fait, l'ensemble du processus électoral, et, par voie de fait, la jeune et nouvelle démocratie tunisienne.