Le flamenco est un art en apparence désordonné, improvisé, voire décousu, mais en réalité, il est des plus minutieux. Alors qu'on annonçait, ce jeudi-là (1er août), 5000 spectateurs pour le récital de Paco de Lucia, les aficionados (amateurs de flamenco, en espagnol) ne cessaient d'affluer vers l'enceinte du théâtre antique, dépassant largement le nombre escompté, attirés par le démiurge du flamenco : Paco de Lucia. Dès ses premières notes, il a installé une ambiance où l'on sentait presque l'odeur du jasmin, où les mélodies de l'étrange, du bizarre, de l'exotique, ainsi que les sonorités andalouses nous transportaient à Cordoue, Grenade ou Séville. On reconnaissait le duende, cet esprit du flamenco, de l'envoûtement, ces moments magiques où l'on ne pouvait que se courber devant le Paco et s'émerveiller face au talent de son bailaor (danseur). La performance de ce dernier tient de la prouesse artistique et sportive. Mouvements gracieux du buste, des mains et surtout des jambes, rythmes et taconeo (percussion des talons), à volonté sur le tablao (estrade) cet artiste a envoûté le public, même si nous aurions souhaité, en sus, une présence féminine à ses côtés. Quoi qu'il en soit, nous avons été charmés — et le mot est faible — par cet Antonio Fernandez Montoya, alias Farruco, par son regard mystérieux et qu'on dirait théâtral, par ses pas mesurés, coordonnés à la cadence de la guitare de de Lucia, subtils et si agréables à l'oreille. Paco, un sourire discret sur les lèvres, ne quittait pas sa guitare. Son visage était imperturbable, serein. Il communiquait du regard avec son groupe, formé de cantaors (chanteurs) qui assuraient, également, les compas, sons rythmés, produits par le creux des mains, accompagnant la guitare, le chant et la danse. En fait, le flamenco est un art en apparence désordonné, improvisé, voire décousu, mais en réalité, il est des plus minutieux. Il exige, en effet, discipline sans faille, non seulement de celui qui joue, mais aussi et surtout, de celui qui écoute, qui cherche à suivre le rythme en tapant des mains, ce qui n'est pas toujours aisé. Il est même déconseillé de le faire, parce que les dissonances éventuelles déconcertent les artistes sur scène. Or, le public tunisien aime applaudir, manifester sa joie, son émerveillement. Lors de cette soirée avec Paco de Lucia, le public n'a pas raté un seul moment pour applaudir. Cela était prévisible mais, disons-le, souvent mal venu. Ce ne fut, toutefois, pas le cas, lorsqu'il n'a pas arrêté de taper des mains, lors du salut final du cuadro, réclamant Entre dos Aguas, le succès de Paco, celui utilisé en bande originale de nombreux films, dont celui de Woody Allen, Vicky Cristina Barcelona (2008). Généreux, notre artiste ne s'est pas contenté de répondre à la demande du théâtre romain, il lui a même offert une version inédite, puisque réarrangée, de ce morceau. Ce fut un moment des plus forts de la soirée. Une soirée que le public de Carthage n'est pas près d'oublier.