Par Hella LAHBIB Depuis trois jours, Ennahdha appelle par voie de communiqués et déclarations, à un «profond et large» consensus sur une personnalité nationale appelée à occuper le poste de président de la République. Depuis cette annonce, le mouvement récolte les satisfecit pour sa clairvoyance et sa volonté d'instaurer un climat «consensuel», a fortiori qu'il a été précisé qu'aucune condition préalable n'était requise quant à la coloration politique du futur candidat. Autrement dit, Ennahdha pourrait, avec son appareil et ses militants, appuyer la candidature d'un non-Nahdaoui. Mais le consensus, aujourd'hui, est une fausse bonne idée. Elle est même dangereuse. Voici pourquoi. Après la révolution, la première phase de transition en Tunisie a été menée à son terme grâce au consensus. Seul le consensus pouvait remplacer la légalité absente du fait de la suspension de la Constitution et du fait d'une légitimité défaillante que tout le monde revendiquait. Seul le consensus a permis de mener le pays aux élections du 23 octobre 2011, des élections critiquables, mais des élections reconnues. Seul le consensus a permis à la Tunisie d'éviter de sombrer dès la première année dans un chaos de type libyen. Le consensus, certes, et l'existence d'un Etat et d'une administration forts. Le consensus fait du bien en l'absence de toute autre solution. Il est le dernier recours, car il évite le chaos. Il est le recours également sur des questions vitales, essentielles. Le consensus a sauvé la Tunisie en 2011. Mais il a un coût. Etre consensuel, c'est choisir le politiquement correct, la voie la plus forte, les valeurs dominantes ou qui se présentent comme telles. Etre consensuel, c'est donner le droit de veto à la moindre force politique. C'est éradiquer toute dissidence. A une échelle plus vaste, on sait tout le mal que la recherche du consensus a fait dans les instances panarabes. A la Ligue arabe, toutes les décisions sont prises par consensus. Or, si le monde n'avait été que consensuel, jamais il n'y aurait eu de création, ni de progrès humain. Le consensus est souvent une reproduction en l'état, une imitation des situations présentes, un statu quo, une avancée à reculons. S'il avait été consensuel, Bourguiba n'aurait jamais promulgué le Code du statut personnel, la femme tunisienne n'aurait jamais eu un tel statut. S'il avait été consensuel, Tahar Haddad serait aujourd'hui un inconnu, Abou Kacem Chebbi aussi... En d'autres termes, la Tunisie ne deviendra une démocratie que lorsqu'on abandonnera l'idée du consensus comme solution de facilité. Il est temps de laisser la voie à la démocratie, qui est une sorte de dictature soft des plus nombreux. Alors, l'idée d'Ennahdha qui consiste à rechercher un candidat consensuel pour la présidence de la République est une idée du passé. Les Tunisiens, après avoir vécu ce qu'ils ont vécu et payé le prix, veulent vivre leur démocratie ; c'est-à-dire ce système où nous avons le droit de ne pas être d'accord, où nous réglons nos différends par voie pacifique selon des règles du jeu convenues à l'avance. Les moteurs du progrès, les créateurs, les penseurs, les vrais politiques, les femmes et les hommes d'action sont des dissidents. Tout le contraire de consensuels.