Par Olfa Belhassine Après le drame fulgurant vécu par la rédaction de Charlie Hebdo avant-hier matin, suite auquel douze victimes, dont des dessinateurs français de renom ont perdu la vie sous les rafales des balles de deux tueurs présumés jihadistes, la présidence du gouvernement tunisien publiait un communiqué. Bref, clair et compatissant, comme l'exigent les circonstances, le message, diffusé en début de soirée, présentait les condoléances de la Tunisie aux familles des douze victimes et au peuple français. Le texte de la missive condamnait fermement cet « acte terroriste » et appelait à la collaboration internationale pour lutter contre « le fléau du terrorisme qui vise les forces de l'ordre et la stabilité dans le monde ». Mais voilà que plusieurs heures plus tard, le ministère des Affaires religieuses publiait un autre communiqué officiel, dont l'esprit semble en contradiction avec la dimension séculariste et humaniste du premier. Nous replongeant bel et bien dans une polémique de triste mémoire, initiée pendant toute l'année 2012 sur « le sacré », sa transgression et ses contours si dangereusement flous. Une rhétorique que l'on croyait dépassée, après l'adoption de la nouvelle constitution tunisienne, fondée sur les droits et libertés des citoyens dont la liberté de conscience et la liberté d'expression. Or, le message du ministère semble si proche de l'esprit archaïque et menaçant des extrémistes religieux. Il légitimerait presque le crime perpétré contre les journalistes et les policiers qui gardaient les bureaux de Charlie Hebdo. A la fin de son texte, le ministère appelle « les médias du monde entier à respecter la déontologie journalistique » (sic !). Et à « éviter de porter atteinte aux religions, aux cultes et au sacré et de susciter des provocations par rapport aux croyances ». Est-ce le manque de coordination entre les différents départements ministériels qui donne cette impression de cacophonie dans la position officielle tunisienne ? L'impression que nous sommes face à deux manières de voir le monde ? A deux types de référentiels ? A deux Etats ? L'un arrive à comprendre que la satire est la vraie sentinelle avancée pour la liberté d'expression, une démarche qui amplifie chez les peuples leur seuil de tolérance (un exercice nécessaire et bénéfique). Et surtout élargit la marge de l'irrévérence critique par rapport aux pouvoirs, permettant ainsi aux journalistes, situés en seconde ligne, de faire leur travail avec pertinence et courage. L'autre ne saisit pas encore qu'aujourd'hui, et après tous les crimes politiques et les assassinats des soldats par les groupes takfiristes perpétrés sous nos cieux, que les Tunisiens ont plus que jamais besoin d'écouter un autre discours officiel et une autre bonne parole religieuse. Des mots et des déclarations fondés sur des notions éloignées de toutes les meurtrières ambiguïtés.