Autrefois, " Adonis " était le nom d'un dieu phénicien, symbole de la beauté et de la séduction. Aujourd'hui, c'est le pseudonyme choisi par le grand poète arabe en hommage à ce dieu, amant d'Aphrodite selon la mythologie grecque, cette déesse qui déchaînait les passions des humains comme son fils Eros. Adonis, le poète arabe a su, à son tour, devenir une légende en provoquant une révolution dans l'expression des sentiments humains dans la poésie arabe moderne.
Un parcours mouvementé Adonis, de son vrai nom Ali Ahmad Saïd Esber, est né le 1er janvier 1930, à Qassabine près de Lattaquié au nord de la Syrie. Issu d'une famille rurale, il travaille la terre avec son père qui l'incite pourtant, dès l'enfance, à apprendre le Coran et la poésie arabe classique. Dès l'âge de douze ans, il essaie en vain de se mêler à l'assemblée des poètes qui vont honorer le président de la république à l'occasion des fêtes nationales. Mais on l'empêche à chaque fois de participer à ces cérémonies d'éloges. Mais il insiste jusqu'au jour où il capte l'attention du président qui demande à l'écouter. Le jeune poète, âgé alors de 12 ans proclame sa poésie, tel un nouveau Rimbaud et subjugue toute la foule. Le président décide alors de lui payer une bourse d'études. Il entre au lycée français de Tartous (en 1942), puis à Lattaquié où il obtient son baccalauréat en 1949, c'est également à cette époque qu'il prend le pseudonyme d'Adonis lors de la publication de quelques poèmes. Il entre ensuite à l'Université syrienne de Damas qu'il quitte en 1954 avec une licence de philosophie. Grâce à la révélation précoce de ses talents, il publie ses poèmes dans les journaux sous le pseudonyme Adonis qu'il vient de prendre. Il connaît la prison à cause de son activisme politique panarabe au sein du Parti nationaliste syrien. Après sa libération, en 1956, il se réfugie au Liban où il fonde avec le poète syro-libanais Youssef Al Khal la revue Chi'r (Poésie), l'organe qui lui permet de manifester ses nouvelles théories pour la poésie arabe qui, selon lui, doit se libérer des traditions et tendre vers l'internationalisation et l'universalisme. . Il obtient la nationalité libanaise en 1962 et abandonne la politique pour se consacrer définitivement à la littérature. En 1968, il fonde la revue Mawâkif (Positions) qui se veut un espace de liberté en même temps qu'un laboratoire de rénovation " déstructurante " de la poésie. Mais, elle est aussitôt interdite dans le monde arabe. C'est dans cette revue, qu'il publie ses traductions arabes de Baudelaire, Henri Michaux, Saint-John Perse et sa traduction française d'Aboul Ala El-Maari. Adonis cherche le renouvellement de la poésie arabe contemporaine en s'appuyant sur son passé glorieux mais aussi en regardant la richesse de la poésie occidentale.
La révolution poétique Suite à la guerre civile libanaise, il fuit le Liban en 1980 pour se réfugier à Paris à partir de 1985. Il est désigné le représentant de la Ligue arabe à l'UNESCO. Il est aujourd'hui considéré comme l'un des plus grands poètes arabes vivants. Il écrit son essai sur la culture arabe " la Prière et l'Epée ", un manifeste de la réévaluation critique de la tradition poétique arabe vis-à-vis des pressions intellectuelles, politiques et religieuses du monde arabe actuel. Son livre " Le Temps Les villes " (1990) démontre une connaissance exacerbée des grandes métropoles du monde arabe moderne. Il prend position dans " Al Hayat ", journal libanais, contre le port du voile. Son œuvre prolifique (environ 50 ouvrages en arabe et en français) révèle plusieurs thèmes : injustice, dictature, guerre, misère... Il se saisit des évènements contemporains pour en faire des mythes mais on ne peut pas le classer dans les " poètes engagés ". Sa conception d'une culture et d'une poésie nouvelles va à l'encontre des idées traditionnelles et courantes dans le monde arabe, ce qui lui provoque une vague de contestations et de critiques acerbes de la part de ses détracteurs arabes. Agé aujourd'hui d'environ 80 ans, il n'a pas encore déposé sa plume. Son dernier titre " Histoire qui se déchire sur le corps d'une femme ", est un poème lyrique à plusieurs voix, un hommage émouvant à Agar (femme d'Abraham) et à son fils Ismaël, est paru aux éditions Mercure de France en janvier 2008.
L'amour de la langue arabe En 1995, Adonis est écarté de l'Union des Ecrivains Arabes en Syrie pour avoir participé à Grenade (Espagne) à une rencontre organisée par l'Unesco qui réunissait des écrivains et des personnalités politiques israéliens. Cette expulsion divise l'opinion publique en deux : ceux qui approuvent la décision de l'Union des Ecrivains prétextant que la rencontre d'Adonis avec des écrivains israéliens est une consécration de la normalisation culturelle avec l'ennemi juif ; ceux qui désapprouvent cette décision en la considérant comme une manœuvre politique visant à noircir l'image du poète dans le monde arabe. Quoique l'événement soit fortement médiatisé, le poète ne semble pas en faire toute une affaire et continue son parcours en toute sérénité, sachant qu'avec un monde arabe en grave crise sociale, politique, religieuse et intellectuelle, l'heure n'est pas aux provocations ni aux polémiques . Sa fille, Ninar Esber, une artiste peintre, publie en 2006, un livre sur son père, intitulé " Conversation avec Adonis, mon père " ou " les 100 questions pour dialoguer avec un père poète peu connu ", une suite de conversations qu'elle a effectuées avec un père qu'elle a peu connu, autour de sa vie, sa carrière, ses pensées et son amour de la langue arabe. " Quand les mots quittent ta bouche, dit-elle en s'adressant à son père, ils s'agglutinent à nouveau dedans, c'est un mouvement sans fin, tu les crées à nouveau. Car le même mot dit par toi et par un autre, ce n'est pas pareil... Avec les autres, le mot a du sens en moins, alors qu'avec toi, il en a en plus... Tu leur fais faire ce que tu veux, tu les sculptes, tu les fais tanguer. T'entendre réciter tes poèmes, c'est un vrai tango, mêlé de flamenco et d'une touche de danse orientale... De la passion, du désir, de la volupté et de l'envoûtement... " En effet, Adonis entretient une relation toute particulière avec la langue arabe ; c'est son outil de travail, son identité, son corps, son âme. Un jour, une amie lui a dit après l'avoir entendu dire sa poésie : " Tu n'as pas besoin d'une femme, tu fais l'amour avec ta langue ! " Et elle avait raison !