L'impression d'avoir raté l'essentiel et d'être passé à côté des choses, me revient à chaque fois que je me rends à la rue Sidi Boumendil et ses environs. C'est le sentiment que dans tous nos précédents reportages sur ce terrain privilégié et spécialisé dans le commerce parallèle et convoité par les jeunes vendeurs ambulants, nous n'avons fait que tourner en rond, négligeant les détails qui pourtant révèlent à eux seuls la réalité sur ce commerce souterrain mais pratiqué en plein air et en plein jour... Pour commencer, nous avons choisi, comme éclaireur, notre propre champ d'observation : La place du Cheikh El Berzelli, délimitée par les rues les plus en vogue de ce commerce dans la capitale. Celles de Boumendil bien sûr, de Bab El Jazira, d'Espagne et en retrait celle de Sidi Gharssalli. Soit une superficie de 200 m2 environ. Je me suis planté là scrutant à la loupe cet espace. Attentif à tout ce qui bouge, tous sens éveillés et toutes antennes dehors... Imitation C'est un sacré monde avec une fourmillante activité débordant les trottoirs et envahissant les abords de la place et le milieu des rues. Une remue-ménage saisissant qui fait de chaque bout de terrain un condensé d'énergie avec une densité optimale d'occupation. Sur les quatre côtés de la place, ce sont des étals de fortune qui sont installés. Des guérites en planche, ou des morceaux de cartons qui s'alignent à touche - touche proposant un bric à brac de marchandises et de produits. Combien de "métiers" sont rassemblés sur ces quelques m2? Une cinquantaine, une centaine ? L'un vend des chemises, des pantalons et des ceintures ; l'autre des pierres de briquets, des shampoings et des brosses à dents; un autre des nappes entassées à même le sol et un autre accroche les clients, des lunettes sûrement d'imitation; un vendeur qui paraît un peu plus âgé, expose sur un étalage, qui tient à peine en équilibre, quelques bananes et poires. Un peu plus loin, accroupi handicapé du bras, un jeune propose différentes marques de cigarettes alignées sur un bout de carton. Marchandises Sauter d'un trottoir à l'autre et comptez ces jeunes vendeurs. Ils sont bien une trentaine qui veillent jalousement sur leur "mètre carré de royaume". Ils ne vous racolent pas agressivement. Non. Ils vous proposent avec dignité sinon ils vous disent "à la prochaine fois". Mais ne vous croyez pas quitte. Quand vous repassez par là, ils vous rappellent qu'il ne faut pas rater encore l'occasion d'acheter leurs marchandises "Il n'en reste plus. Profitez en". Mounir a 10 ans, il vend des stylos, des papiers-mouchoirs et d'autres bricoles. Il gagne environ 10 dinars par jour "C'est pour la famille, ma mère est handicapée et mon frère est à l'école. Après la mort de mon père j'ai été obligé de travailler je ne pouvais faire autrement" et d'ajouter "j'économiserai un peu d'argent et je m'inscrirai dans une école de formation professionnelle pour apprendre un métier. En attendant voulez-vous m'acheter quelque chose?" -Je prendrai volontiers un stylo. -Pour vous, c'est 100 millimes c'est "made in China"! Energie Tout cela dénote d'un acharnement quotidien d'une volonté tenace pour assurer son gagne-pain. Des jeunes qui ont la tête bien sur les épaules et qui ont le sens du devoir. Et cela fait rougir de remords ceux qui ne cessent de disserter dans leurs bureaux sur la paresse des jeunes et leur penchant pour la fainéantise et le gain facile. Ici à les voir du matin au soir sur leur bout de trottoirs, actifs entreprenants, on ne peut s'empêcher de penser qu'ils représentent une formidable énergie non exploitée. Une énergie qui, si elle est bien encadrée, et mieux orientée, pourrait contribuer à assurer le plus dans tous les domaines. Et qu'on le veuille ou pas ce commerce "anarchique" qui fait partie du commerce informel contribue, selon les estimations mêmes de l'UTICA à environ 20% du PIB du pays. Plutôt, structurer ce commerce, intégrer dans des circuits légaux et prometteurs, ses intervenants et notamment les jeunes, afin de promouvoir et consolider en même temps le volet social et le volet économique.