Il était une fois un rêve que les citadins faisaient chaque nuit : vivre dans une ville jardin, bénéficier de la verdure en plein centre ville et respirer un air pur, débarrassé de ses gaz nocifs par la grâce de la chlorophylle. Alors les maires successifs se sont décidés à créer des espaces verts tout au long des décennies de l'indépendance. Un demi siècle plus tard, force est de constater que, si nous savons créer des jardins, nous ne savons pas les conserver… Nous avons commencé notre série de visites par le jardin du Passage, avec ses grandes allées asphaltées, son immense fontaine centrale et sa pelouse plus ou moins verte. Ancien cimetière israélite, cet espace a connu des fortunes diverses à travers les âges. Il a été un espace familial ouvert sur la ville, avant de devenir un lieu mal fréquenté, avec des ivrognes qui venaient là assouvir leurs désirs les plus inavoués, malgré les nombreux contrôles... La logique du moins disant Récemment, la pelouse est devenue tour à tour un lieu de rencontre pour les couples de condition modeste, un espace de sieste pour de nombreux chômeurs et accessoirement un endroit où l'on promène son chien. Autant dire que « les familles des environs n'ont plus la possibilité d'amener leurs enfants jouer tranquillement dans ce jardin public », comme nous l'a affirmé une mère de famille des environs. Une situation que la municipalité de Tunis tente de reprendre en main depuis quelque temps, en repensant l'aménagement de cet espace central. Une entreprise privée a ainsi été chargée de repenser ce jardin, mais comme d'habitude, « cela s'est fait sans demander l'avis des spécialistes et en dépit du bon sens, parce que l'on prend toujours le moins disant, sans se soucier de la qualité du travail et de la pérennité du projet », affirme un paysagiste confirmé. En effet, l'entrepreneur a décidé d'encadrer l'ensemble des allées avec des troncs d'arbres qu'il a découpé grossièrement et qui vont pourrir lentement sous l'effet du soleil et de la pluie. En plus d'enlaidir le jardin du Passage, ces poutres n'empêchent pas les amateurs de siestes ou de football de venir aplatir et tuer le gazon… Autre lieu, autres problèmes : en face des deux portes de Bab El Khadhra, un jardin a été aménagé il y a quelques années, ce qui a eu un effet très positif sur le moral des familles des environs, vivant depuis des années dans un environnement pollué, privées de verdure. « On était obligés d'aller jusqu'au Belvédère pour permettre à nos enfants de s'amuser en plein air », assure une dame qui a vécu toutes les transformations de ces lieux. Mais la fête n'a duré qu'un temps et très rapidement, ce jardin est devenu désert sans arbres et sans verdure. Pire encore : dans chaque coin, des tas d'immondices s'entassent dans ce qui était censé devenir un lieu de loisir et une aire de jeux pour les enfants. La dame raconte les péripéties qu'a vécues ce jardin de Bab El Khadhra : « il y avait des plaques de marbre de très bonne qualité, mais elles ont été arrachées par les voisins et vous pouvez les retrouver sous forme de tables de travail dans les cuisines des environs. » Préserver les acquis Il y avait aussi une série de fontaines qui donnaient un air de fraîcheur à ce lieu, mais selon cette dame « elles n'ont fonctionné que très peu de temps, après ils ont dit que les canalisations se sont bouchées avec le calcaire et que les pompes sont tombées en panne. Depuis, ce sont les arbres que les gosses ont cassé en grimpant dessus, sans oublier les fleurs arrachées et les bancs salis par toutes sortes d'inscriptions. » Et cette dame de conclure : « nous ne savons pas préserver nos acquis, et c'est vraiment dommage… » A propos d'acquis, on pensait tous, il y a quelques années que le parc du Belvédère en faisait partie et une association a même été créée dans le but de préserver cet espace vital pour la qualité de l'air dans la capitale. Or que constate-t-on depuis quelques années ? Une série de zones ont été bétonnées pour diverses raisons plus ou moins acceptables et qui finissent par enlaidir cet espace vert... D'abord il y a ces manèges qui ont été implantés en dépit du bon sens. Ils sont affreux, bruyants et inutiles. Le pire, c'est que l'un d'eux a fermé ses portes depuis plusieurs années et que son espace est resté encombré par des objets hétéroclites : barres de fer, restes de manèges démontés, pierres, sable… En vertu de quel droit reste-t-il implanté là à occuper inutilement ces lieux ? Personne à la municipalité de Tunis n'a de réponse… Ensuite, on remarque une foule de petites baraques qui vendent des confiseries autour du zoo et qui ont été implantées au détriment des arbres qui occupaient ces lieux. Le café voisin est lui aussi source de pollution pour le lac et les espaces verts environnants, avec ses milliers de mégots jetés à même le sol, ses papiers de casse-croûtes abandonnés entre les chaises et ses déchets divers jetés par dizaines entre les arbres. A l'intérieur du parc du Belvédère, des camions viennent régulièrement déverser des tonnes de déchets divers : gravats, restes de produits industriels, déchets d'usines… Un comportement irresponsable que les autorités ne semblent pas capables d'endiguer. Sans oublier toutes ces chèvres et autres moutons qui viennent ici détruire une végétation aussi unique que fragile… Un peu partout dans la ville d'autres espaces sont régulièrement agressés par des citoyens qui ne savent pas conserver ces lieux de vie et de loisirs. Le jardin de la place Barcelone n'est plus que l'ombre de ce qu'il a été, malgré les grandes barrières de métal déployé qui le cernent. Les massifs de fleurs se sont étiolés avec les années, agressés par des mains vengeresses d'enfants peu sensibilisés au respect des espaces verts. Le gazon est régulièrement piétiné par des clochards qui tentent de survivre en ces lieux peu surveillés. Même du côté du cimetière El Jallez, la verdure n'a plus d'espace pour se développer, tant les tombes sont devenues nombreuses, un problème qu'il faudra résoudre très prochainement… En face, les quelques mètres carrés de gazon sont en train de disparaître à cause notamment de la pollution, mais aussi du manque de soins. Il est donc temps de repenser les espaces verts dans une capitale qui devient chaque jour plus peuplée. Les chiffres relatifs à la qualité de vie et à l'augmentation du nombre de mètres carrés par habitant risquent de connaître une baisse sérieuse, si rien n'est fait pour endiguer ce phénomène…