« Il est impossible de parcourir une gazette quelconque, de n'importe quel jour, ou quel mois, ou quelle année, sans y trouver, à chaque ligne, les signes de la perversité humaine la plus épouvantable, en même temps que les vanteries les plus surprenantes de probité, de bonté, de charité, et les affirmations les plus effrontées, relatives au progrès et à la civilisation ». Charles Baudelaire, Mon cœur mis à nu L'atrocité, comme tout autre travers humain, est relative, mais elle demeure aussi choquante et insupportable dans ses manifestations les plus bénignes que dans ses plus terribles excès. Il y a entre l'atrocité et l'horreur, son expression superlative, une simple différence de degré. C'est un peu pour cette raison que les âmes sensibles réagissent avec autant d'indignation face à la déchéance, chaque jour plus marquée, d'un pays – le leur – qui a connu, dans des conditions censées être défavorables, des jours bien meilleurs. La raison en est que l'atrocité est la plus insoutenable des formes de l'obscénité. A ce titre, les scènes de décapitation et d'égorgement perpétrées, de manière ostentatoire par les moudjahidines syriens au grand jour et, comble de l'inconséquence, méthodiquement filmées en vue d'être diffusées, ne sont pas, sur le fond et compte tenu du principe de la relativité – moins odieuses que l'outrecuidance, la cupidité et l'incurie des politicards islamistes tunisiens et leurs âmes damnées qui – comble du ridicule ! – se font toujours passer pour leurs alliés. Que dire sinon du président de l'ANC qui, au gré de je ne sais quels calculs politiques, suspend les travaux de l'institution, dont il est censé être le maître, s'engage à persévérer dans cette « sage » décision tant que la crise n'aurait pas été résolue, puis, pour des raisons qui ne sont évidentes qu'à ses propres yeux, oublie sa rigueur et « décide » de reprendre les travaux de son assemblée tronquée ? La loi de la majorité, nous dit-on, aurait pesé de son poids et précipité ainsi la capitulation de Mustapha Ben Jaâfar. D'autres invoquent le réalisme ou le pragmatisme chers aux politiciens, d'autres encore invoquent des raisons moins nobles et, pour certaines d'entre elles, franchement sordides. Que dire du président provisoire qui s'entête, en dépit de ses prérogatives quasiment nulles, à jouer le rôle d'« arbitre » entre les factions politiques discordantes et ne trouve rien de mieux que d'inciter les députés, qui ont déserté l'ANC, à réintégrer leur établissement pour parfaire leurs travaux dans les plus brefs délais et mettre fin ainsi à cette fastidieuse phase de transition ? Cette solution n'est ni pire ni meilleure que toutes les autres alternatives que les « âmes charitables » du pays ont concoctées pour endiguer l'enlisement de la patrie dans les sables mouvants de la discorde. Son tort cependant est d'être, contrairement aux précédentes, le chef-d'œuvre que le parti majoritaire n'a pas cessé de défendre face à ses adversaires qui sont également, on n'insistera jamais assez là-dessus, les adversaires du président provisoire que ses partisans présentent souvent comme étant une instance « neutre », puisqu'il est, théoriquement cela s'entend, le président de tous les tunisiens. Que dire de ces députés qui défendent à cor et à cris la légitimité – sous entendue la leur, mais ils optent sciemment pour le générique pour laisser entendre, à qui ne l'aurait pas encore compris, qu'ils s'enthousiasment pour des nobles idéaux et non pour des intérêts mesquins –, sans laquelle le pays serait happé par le vide institutionnel et sombrerait irrévocablement ? Ces sauveurs providentiels oublient toutefois que l'ANC ne pourrait prétendre assurer le rôle, qui est censé être le sien et dont il aurait dû s'acquitter bien avant cette date, qu'en présence de l'ensemble de ses locataires. Le tort de ces croisés belliqueux est d'avoir oublié que la « démocratie » ne peut en aucun cas se réduire à l'exercice du fait accompli, et cela pour la bonne raison que c'est précisément cet exercice odieux, que le RCD pratiquait avec autant d'arrogance et de mépris, et qui a fini par avoir ruiner la dictature et qu'il n'y a pas de raison que cette loi ne renouvelle son exploit. Les ennemis jurés des « putschistes » oublient que l'habit ne fait pas le moine et qu'il ne suffit pas d'être là où il faut, au moment qu'il faut pour mériter la tunique du patriotisme et se l'approprier définitivement. Cette forme de cécité prouve incontestablement que les soldats de la légitimité impérissable – parce que, comme le phénix, elle renaît de ses cendres – ont la mémoire courte. Ils semblent en effet qu'ils aient perdu de vue que ce sont bien les gens du dehors qui ont délogé les détenteurs d'une légitimité, non moins impérissable que la leur, pour leur permettre d'occuper leurs sièges et de jouir de leurs privilèges ! Que dire de ces matamores ridicules qui se battent contre tant de moulins à vent et tant d'autres apparitions que, prétendent-ils, la contre-révolution affectionne pour continuer son œuvre de sape et empêcher ainsi le gouvernement, légitime et thaumaturge, de réaliser les miracles – il s'agit là de ce fameux pluriel que les stylisticiens qualifient d'augmentatif parce qu'il a le mérite de concrétiser l'abstrait ou, comme c'est le cas ici, le surnaturel – qu'il a promis de réaliser en l'espace d'une année ? Ces pitoyables Don Quichotte oublient seulement que les thaumaturges, membres du gouvernement le plus fort – et le plus populeux – de l'histoire de la planète, auraient dû user de leurs dons surnaturels pour déjouer les sordides manœuvres des contre-révolutionnaires qui, eux, cela ne fait pas le moindre doute, sont des simples humains ! Si ces êtres frustes et désarmés ont réussi à gêner les faiseurs de miracles, c'est peut-être parce que ce bataillon de thaumaturges gouvernementaux ne sont en réalité que des faussaires ! Que dire encore de…? Mais à quoi bon multiplier les exemples ? Ceux que nous avons cités déjà sont suffisamment explicites et prouvent, si besoin est, que ce ne sont pas toujours les gens qui font le plus de boucan qui ont raison. Les spécimen dont il a été question ici font partie de ces atroces humaincules – néologisme nécessaire pour faire l'équilibre avec son corollaire animalcules, bien reconnu, lui, par le dico – qui voient le jour dans le sillage des révolutions et dont le rôle évident est d'escroquer les artisans de ces révolutions. Ces fossoyeurs sont atroces parce que, comme les moudjahidines syriens, ils perpétuent leurs forfaits avec la même détermination et la même froideur. Insensibles et efficaces, ces machines bien huilées de l'horreur dévastent tout sur leur chemin. Ces jihadistes sans armes contribuent au naufrage, de plus en plus évident, de la Tunisie. Tous manipulent le couteau immatériel – et pour cela impitoyable – qui est en train de sectionner la gorge du peuple tunisien.