Nous ne sommes pas à une aberration près en Tunisie, mais la dernière en date fait quand même mal aux vrais patriotes. Le Groupe Chimique va se mettre à importer des engrais au profit des agriculteurs vu que la saison des semences approche à grands pas. Il s'agit de la matière communément appelée « amonitre », dont la Tunisie était l'un des principaux exportateurs mondiaux. Aujourd'hui, on est obligés de dépenser près de 45 millions de dinars pour en importer. Cette anecdote montre à elle seule la déliquescence dans laquelle nous sommes, entre conservateurs crieurs et progressistes rêveurs, mais tous incapables. Aucun gouvernement depuis la révolution n'a réussi à établir un semblant de paix sociale. Des dossiers comme celui du phosphate, d'El Kamour, des caisses sociales, des entreprises publiques et j'en passe, n'ont pas été résolus, donc les problèmes s'aggravent et nous en arrivons à des aberrations.
Le gouvernement Mechichi devra s'atteler à régler ce genre de dossiers. Ce sera l'un de ses principaux tests dans les semaines et mois à venir. Des dossiers que personne parmi les politiciens de la nouvelle troïka (Ennahdha, Qalb Tounes et Al Karama) n'a évoqué, notamment par manque de compétence. Eux, ce qui les intéresse, c'est le pouvoir et le vacarme, rien d'autre. Par contre pour Hichem Mechichi, s'il souhaite faire correctement son travail, ce seront des dossiers de première importance, loin des vieux slogans désuets qu'il a utilisé lors de son discours d'investiture.
S'il y a bien une partie prenante avec laquelle tout devra être discuté pour espérer arriver à un changement, ce sera l'UGTT. Tous les vœux pieux du chef du gouvernement ne pourront avoir une chance d'exister que si la coordination avec le syndicat est optimale. Conscients de cotte réalité, plusieurs ministres ont déjà commencé les rencontres avec les syndicats concernés notamment Habib Ammar au Tourisme et Faouzi Mehdi à la Santé. Les batailles à mener avec le syndicat sont très nombreuses au vu de la situation du pays à tous les niveaux. Reste à savoir si le gouvernement se battra en compagnie de l'UGTT ou se battra contre l'UGTT. Là est la vraie question.
Ce gouvernement a été jeté dans l'arène politique et sociale par le président de la République, Kaïs Saïed, qui lui-même n'est pas initié à ce genre de difficultés. Donc, le gouvernement Mechichi n'a aucune légitimité électorale et ne pourra même pas bénéficier d'un « report de légitimité » venant du président. Par conséquent, ce gouvernement a été repêché par Ennahdha, Qalb Tounes et Al Karama qui se proposent de lui fournir un soutien politique. Les jours prochains nous montreront la nature de la contrepartie. Mais ce soutien politique négocié ne suffira pas au gouvernement pour tenir tête à l'UGTT si jamais il fallait en arriver là. Il faudra également prendre en considération le fait que l'un des soutiens politiques de ce gouvernement, à savoir Al Karama, affiche une hostilité assumée envers la centrale syndicale, ce qui n'est pas de nature à faciliter les relations. Celles entre l'UGTT et Ennahdha ou Qalb Tounes ne sont pas non plus de la meilleure qualité.
Il faudra également beaucoup de courage pour affronter les vrais dossiers d'une Tunisie en panne. Les fameuses « réformes douloureuses » dont tout le monde parle mais que personne n'arrive à mettre en place. Un courage qui a fait défaut lors de la phase de formation et d'adoption de ce gouvernement. Le triste épisode du ministre des Affaires culturelles imposé de force par le président de la République, en plus d'autres ministres à des postes importants, ne laisse rien présager de bon concernant le volontarisme du gouvernement et de son chef, Hichem Mechichi. De son côté, les représentants de la centrale syndicale, en bons politiciens qu'ils sont, observent un silence prudent concernant ce gouvernement et ne donnent pas encore d'indication claire. Il faut dire qu'il n'y a pas eu d'échange réel, outre le fait rassurant pour l'UGTT de voir Mohamed Trabelsi aux Affaires sociales. Les premières empoignes risquent d'être déterminantes pour la suite de la relation entre le gouvernement et la centrale.
Les intervenants de ce bras de fer qui se profile ne doivent pas non plus oublier le contexte dans lequel ils évoluent. En filigrane de ces tractations, il existe une grogne sociale qui s'amplifie au fur et à mesure des difficultés économiques. Il y a un grand nombre de personnes qui se retrouvent aujourd'hui sur la paille à cause de la crise Covid-19 et surtout de l'incapacité de l'Etat à préserver les emplois et les entreprises. La démission collective de la chose publique que l'on observe chaque jour ne tardera pas à se transformer en colère. Aucun de ces intervenants ne semble conscient de l'ampleur de l'hécatombe sociale et économique engendrée par le virus. Tout cela avec une menace terroriste toujours présente, comme cela nous a été douloureusement rappelé dimanche. La quantité de problèmes que doit affronter la Tunisie est grande, mais cela deviendrait un détail si l'on arrivait à acquérir la conviction que ce gouvernement en sera à la hauteur. Aujourd'hui, nous ne l'avons pas encore.