C'est une première historique en Tunisie, de celles dont on devra se souvenir longtemps comme étant une honte absolue. Notre pays va importer du phosphate, pour la première fois depuis que l'Etat tunisien existe. Nous allons acheter du phosphate auprès de nos amis Algériens à raison de 40 mille tonnes par mois pour pouvoir reconstituer un stock et poursuivre la production d'engrais chimiques. La Tunisie se met donc à importer un produit dont elle était le cinquième producteur mondial en 2010. Autant dire une déliquescence et un laisser-aller intolérables qui vont peser sur les finances de l'Etat. Il ne s'agit pas ici de politique politicienne dont certains disent, à tort d'ailleurs, qu'elle n'intéresse pas le Tunisien dans sa vie quotidienne. Le manque à gagner de l'Etat tunisien, à cause de la faillite du phosphate, sera prélevé ailleurs, soit en impôts, soit en endettement extérieur, soit en réduisant les investissements de l'Etat et le travail fait au niveau des infrastructures. Donc, il n'est plus à démontrer que cette faillite aura un impact direct sur le quotidien des Tunisiens.
A cause de tensions sociales, la Tunisie se retrouve privée de son unique richesse naturelle, l'un de ses poumons économiques les plus importants. Depuis près de 10 ans, tous les gouvernements se sont cassé les dents sur cette problématique qui reste, à ce jour, non résolue. Le blocage systématique de la ligne 13 qui achemine le phosphate à Sfax a fini par avoir raison de l'entreprise et pousse maintenant à importer cette ressource. Ce blocage n'a pu être levé ni par la force de la loi, ni par celle de la négociation. Il s'agit là du grand échec de tous les gouvernants de la Tunisie, indépendamment de leur couleur politique. Aucun d'eux n'a été capable de trouver une solution pérenne à cette situation dramatique. Pire encore, l'Etat s'est adonné à la corruption dans cette affaire. En fondant des « sociétés d'environnement, de plantation et de jardinage » attelées à Phosphate Gafsa et en y recrutant des bras cassés, l'Etat a tenté d'acheter la paix sociale pour pouvoir administrer « tranquillement » la première ressource du pays. Mais comme disait Churchill à Chamberlain : « Vous avez eu à choisir entre la guerre et le déshonneur ; vous avez choisi le déshonneur, vous aurez la guerre », car finalement ces sociétés ont précipité la chute de Phosphate Gafsa. Pire encore, ces sociétés fictives qui ne font aucun travail de terrain ont créé un appel d'air à tous les chômeurs de différentes régions, qui veulent y être intégrés au prix d'un bras de fer avec l'Etat. Sur la question du phosphate, l'Etat tunisien s'est montré d'une lâcheté sans nom et a été incapable de faire profiter les Tunisiens de leur ressource. L'Etat tunisien a distribué des pots-de-vin à des milliers de personnes pour « acheter » l'exploitation du phosphate, mais sans aucun résultat. On continue à faire chanter l'Etat tunisien et celui-ci se laisse faire. Mais l'Etat tunisien c'est nous, et à défaut de profiter de notre droit, garanti par la constitution dans son article 13, on ne va pas non plus se mettre à payer l'importation ! Des millions de personnes en Tunisie travaillent durement chaque jour pour nourrir leurs familles tout en respectant la loi et en payant leurs impôts. Cela devient chaque jour de plus en plus dur et la crise du Covid-19 n'a rien arrangé. Il est intolérable et inadmissible de leur faire payer en plus, de quelque manière que ce soit, l'incompétence et la lâcheté d'un Etat incapable.
Il est vrai que la situation de la population de Gafsa est difficile et que de réels problèmes de chômage et de précarité existent. Il faut absolument régler ces problèmes et travailler à désenclaver cette région si riche. Mais il est clair aussi que le modèle choisi pour remédier à ces problèmes ne marche pas, au contraire. Aujourd'hui, ce sont les employés de Phosphate Gafsa qui sont menacés de chômage et de précarité à cause des contestataires et de l'absence de réponse de l'Etat. C'est le nombre de chômeurs qui risque d'augmenter si on continue à aller sur cette voie qui aura la peau de Phosphate Gafsa, de manière définitive. On notera au passage le silence des défenseurs zélés des ressources naturelles, ils doivent toujours être à la recherche du sel et du pétrole entre Nabil Karoui et Rached Ghannouchi. On remarquera également le silence du président de la République, Kaïs Saïed, qui disait pourtant avant-hier que les Domaines de l'Etat doivent être préservés et que la loi doit s'appliquer à tous les contrevenants. Peut-être qu'il ne considère pas le phosphate comme une richesse de l'Etat tunisien et qu'il préfère partir à courette derrière d'hypothétiques milliards cachés à l'étranger plutôt que s'atteler à récupérer la richesse naturelle de la Tunisie. Il préfère utiliser les ministères comme celui des Domaines de l'Etat pour poursuivre ses opposants politiques plutôt que d'oser dire qu'une infime partie du peuple a tort de bloquer le phosphate et d'en priver l'ensemble des Tunisiens.
Les bâtisseurs du pays ont travaillé dur pour que l'on puisse extraire et vendre le phosphate. La Tunisie dispose même d'un brevet international dans l'extraction du phosphate et nos ingénieurs ont parcouru le monde pour mettre à profit leur savoir-faire et aider d'autres pays à extraire le phosphate et à le traiter de la bonne manière. Encore aujourd'hui ce brevet peut être mis à profit. Mais au lieu de cela, nous nous mettons à importer du phosphate. Des centaines d'ingénieurs doivent se retourner dans leurs tombes s'ils apprenaient cela. Toute la faillite de l'Etat tunisien, même avant la révolution, se trouve résumée dans le traitement de la problématique Phosphate Gafsa. Cela est valable pour le nouveau gouvernement de Hichem Mechichi qui devra trouver des solutions à la problématique de la CPG, en espérant, un peu naïvement, qu'il ne s'y cassera pas les dents comme ses prédécesseurs.