Il n'est pas toujours facile d'analyser l'actualité politique. A ce propos, saluons la publication de l'ouvrage du politologue Hatem M'rad : Janus ou la démocratie à deux têtes, qui vient de paraître aux éditions Nirvana. Il s'agit d'une œuvre qui offre une clé d'interprétation susceptible d'éclairer le lecteur sur la vie politique en Tunisie. La conjoncture actuelle aidant, dire que son ouvrage vient à point nommé, il n'y a aucun doute là-dessus. L'ouvrage réunit un ensemble de Chroniques pour Le Courrier de l'Atlas, parues durant la période qui s'échelonne de 2018 à 2020. Dès le titre, le lecteur est mis sur la voie, car, Janus est bien le nom du dieu romain de la transition, des fins, des commencements, des entrées, des sorties et des passages. Il est aussi le dieu aux deux visages, l'un tourné vers le passé et l'autre tourné vers le futur. L'auteur a pris soin de classer 85 chroniques en six parties qui en définissent le sens et permettent de justifier le titre. En effet, dans les quatre premières parties l'auteur a réuni les chroniques faisant état de la situation de la Tunisie depuis la révolution jusqu'à l'élection de 2019, dans la cinquième partie, il donne à comprendre les résultats des élections de 2019, enfin dans la dernière et sixième partie, il récapitule l'ensemble en le situant dans une perspective mondiale. Tout d'abord, le rappel de l'héritage de Bourguiba aussi complexe soit-il ne permet pas d'avoir une vision claire, mais reste attaché à la figure d'un leadership. En effet, comment remettre en question un régime politique qui tire sa force de sa propre légende, ce qui amène à un « déni de la révolution et de l'Histoire » et à des contradictions qui vont rendre toute forme de démocratie difficile voire impossible. Ajouter à cela, la composante religieuse qui, entre islam et islamisme, allant de l'autorité savante à celle d'un chef charismatique, s'infiltre dans les domaines sociaux et locaux. En outre, l'auteur s'interroge sur le rôle des partenaires syndicaux, celui des députés, des élites et du peuple. A partir de 2019 (chap V), l'auteur analyse les élections qui présentent une multiplicité de candidats et révèlent l'opposition du peuple à l'élite. Le résultat des élections, qui a connu, des réserves et des remises en question, va mettre en place un Président indépendant. Dans ce contexte, le fonctionnement de l'Etat et des institutions deviennent difficiles. Les échecs des gouvernements Jemli et Fakhfakh en sont la preuve. La dernière partie de l'ouvrage apporte un point de vue sur la situation globale dans le monde à partir d'expériences dans les pays arabes, en France et aux USA. Il ressort de cette analyse, un éclairage sur la question de l'autorité aujourd'hui dans le monde ainsi que sur la fragilité des démocraties. En conclusion, le livre de Hatem M'rad, en soulignant l'absence de repères en Tunisie, met face à face deux visions du monde qui se tournent le dos et qui expliquent l'égarement, voire les difficultés de toute politique. Car, en dépit des multiples enjeux historiques, religieux et géopolitiques, deux modèles s'affrontent à la recherche d'un équilibre précaire. Cet ouvrage permet, grâce à cette synthèse, de se faire une idée claire et éclairante sur la situation en Tunisie, ainsi que sur les démocraties contemporaines.