Dans un brillant essai, Tahar Gallali envisage les blocages de la pensée arabe contemporaine écartelée entre soumission à la déraison et montée de l'irrationnel. Et pourtant, la pensée éclairée existe bel et bien mais se trouve confinée dans les marges et orpheline de la modernité. Quels sont alors les défis qui sont posés à un regain de la culture scientifique? Un ouvrage très dialecticien, écrit dans un style limpide et avec un remarquable engagement... Ingénieur, chercheur et professeur des universités, Tahar Gallali a été le premier directeur de la Cité des Sciences. De fait, il en est le fondateur, celui qui a porté le projet depuis sa genèse et qui en a assuré la mise en place. Auteur de très nombreux ouvrages, Gallali est réputé pour l'acuité de sa réflexion et le caractère profondément contemporain de ses essais. L'ouvrage qu'il vient de faire paraître aux éditions Nirvana s'inscrit en droite ligne dans ses travaux des dernières années. La culture scientifique, ce rempart contre l'obscurantisme Intitulé "La seule révolution qui vaille", ce livre est un essai sur la pensée dans le monde arabe actuel. L'auteur constate que la science a du mal à retrouver un enracinement dans le monde arabe alors que l'irrationnel tend à affirmer une sorte de prépondérance sur l'espace public, annihilant tout effort et obstruant les horizons. Déplorant "une soumission généralisée à la déraison", Gallali constate que les opinions publiques, les médias et les réseaux publics vont tous dans ce sens selon lequel le "dogme éclipse l'argument". En ce sens, les illusions finissent par prendre le pas sur le réel au point où les fables tapissent les imaginaires collectifs jusqu'à les saturer. Par métaphore, l'auteur constate que les sociétés produisent des discours sur l'astronomie mais se réfugient dans l'astrologie. Partant de ce diagnostic, l'essai de Tahar Gallali met en valeur les urgences intellectuelles et l'ampleur de la tâche à accomplir pour inverser cette tendance. Pour lui, le contexte des post-révolutions arabes a comme "éteint la pensée éclairée" qui ne parvient plus à se faire entendre. Dans "La seule révolution qui vaille", l'auteur brocarde ce "grand fiasco" et développe un plaidoyer pour la culture scientifique en tant qu'alternative à cette pensée figée être immobile. D'ailleurs, dans sa préface à l'ouvrage, Ahmed Djebbar considère que Gallali plaide "pour la science et la culture scientifique comme rempart à l'obscurantisme envahissant et un antidote à toute forme d'aliénation de l'esprit. Dans cette préface, Djebbar estime que l'auteur ne se contente pas de fustiger certaines idéologies occidentales mais analyse sans concession, la réalité arabe depuis les premiers pas de l'empire musulman jusqu'aux indépendances. Espoirs déçus et rendez-vous manqués L'ouvrage se présente en trois parties complémentaires introduites par une réflexion sur le contexte actuel du monde arabe entre hégémonisme occidental et handicaps endogènes. Intitulée "De la perception de l'autre", la première partie de l'ouvrage s'intéresse à la présence arabe en Occident et les fluctuations de sa perception au fil des siècles. Gallali se penche sur plusieurs réalités allant du mal identitaire au calvaire de la deuxième génération en passant par les idéologies dominantes. En seconde partie, l'auteur inverse les perspectives et analyse la réalité culturelle arabe actuelle. Il remonte les généalogies de la pensée tout en évoquant la fameuse "Nahdha", cette renaissance avortée. Querelles sont les chances d'un renouveau? Elles peuvent paraître lointaines quand on se penche sur le bilan des siècles antérieurs. Gallali retrouve les ferments qui ont fait que le tout-religieux l'emporte sur la pensée rationaliste. Recensant espoirs déçus et rendez-vous manqués, il revient sur le temps désormais lointain où la culture arabe était une culture-monde et traque les moments paradigmatiques où le basculement dans l'irrationnel s'est effectué. Les deux parties de l'ouvrage donnent la mesure de la situation en dressant un double diagnostic qui permet de mesurer les défis qui nous attendent. Eclectique, Tahar Gallali envisage plusieurs modèles dont celui japonais qui est parvenu à concilier modernité et religion. Il aborde enfin les interactions du déficit scientifique avec le déficit démocratique, soupesant la pesanteur islamique et l'obstruction islamiste. L'auteur termine son ouvrage en recensant les urgences et en vérifiant ses hypothèses. Pour lui, depuis la chute de Grenade, la pensée arabe a rompu avec l'universel car - justement - la science l'a désertée. Quant au renouveau, il se laisse toujours attendre alors que tant d'opportunités sont à saisir. En couverture du livre, le pendule de Foucault permet au lecteur de constater que la terre continue de tourner et que le mouvement pendulaire implique en soi cette dialectique de ce qui se fait et se défait. Un livre à lire pour les horizons intellectuels qu'il ouvre et le débat qu'il pourrait instaurer. Lauréat du prix Euréka pour la promotion de la pédagogie et de la vulgarisation scientifique en Méditerranée, Tahar Gallali nous offre un texte didactique, aéré et tout en nuances et parvient en une centaine de pages à poser tous les enjeux de la pensée contemporaine dans le monde arabe actuel.