Les relations étrangères de la Tunisie post-25 juillet évoluent sur des sables mouvants. Si le président de la République insiste toujours sur la primauté de la souveraineté, le flou politique qu'il alimente, la situation économique désastreuse ont fait que les pressions se précisent. Au lendemain du coup de force de Kaïs Saïed, les puissances étrangères ont opté pour la prudence et l'observation. Les propos étaient édulcorés, la précipitation n'était pas de mise, surtout qu'il fallait appréhender tous les contours et les aboutissants de la crise politiques tunisiennes pour réagir en conséquence. La procrastination présidentielle, les déclarations non-maîtrisées de Saïed, les campagnes de lobbying contre le renversement du Parlement ont fait que le vent a commencé à tourner. Plus particulièrement, la promulgation du décret 117 du 22 septembre a constitué un véritable tournant, alors que le chef de l'Etat accaparait tous les pouvoirs.
Le 14 octobre la commission des Affaires étrangères du Congrès américain a consacré une séance à propos de la situation en Tunisie. Le peu qu'on puisse dire c'est que les échanges n'ont pas été tendres, ce qui a amené des responsables américains à envisager des sanctions, notamment fermer le robinet des aides financières à l'armée tunisienne. C'est ainsi que le 19 octobre 2021, la commission des finances du Sénat US a proposé dans un projet de loi que l'attribution des aides à la Tunisie soit tributaire de plusieurs conditions. Et d'après cette proposition de loi le Département d'Etat doit présenter, dans un délai ne dépassant pas les 45 jours, un rapport qui éclaircira certains points. En l'occurrence, ce rapport doit démonter si l'armée tunisienne a joué un rôle dans le « déclin de la démocratie » en Tunisie, si les autorités ont compté sur le soutien de l'armée pour renforcer « ses actions autocratiques » et si les actions des autorités sont crédibles en ce qui concerne le rétablissement d'un cadre constitutionnel ou le respect des libertés. Wendy Sherman Secrétaire d'Etat adjointe est d'ailleurs attendue en Tunisie. En plus des rencontres avec le chef de l'Etat et la cheffe du gouvernement, il est prévu qu'elle s'entretienne avec les représentants des partis politiques, des organisations nationales et de la société civile.
Du côté Européen, on hausse aussi le ton. Josep Borell, Haut représentant de l'Union européenne pour les affaires étrangères et la politique de sécurité s'est entretenu une nouvelle fois avec le président de la République. Il affirmé ainsi avoir insisté sur « l'importance de préserver les acquis démocratiques », de « respecter le principe de séparation des pouvoir », d' « assurer un retour à la normalité institutionnelle » et la « nécessité d'un calendrier clair ». Lors de la séance plénière du Parlement européenne, mardi 19 octobre, la situation en Tunisie était à l'ordre du jour. L'institution estime ainsi qu'il en va de la crédibilité de la Tunisie que les autorités rétablissent complètement l'ordre constitutionnel et institutionnel, dont les activités du Parlement. Une résolution du Parlement européen sera mise aux voix jeudi 21 octobre. Le projet de cette résolution, même si tous les points ne seront pas forcément adoptés, est édifiant quant au glissement de la position européenne. Un projet au vitriole à consulter en cliquant sur ce lien. A savoir que le ministre d'Etat allemand aux Affaires étrangères effectue une visite de trois jours en Tunisie.
Toutefois, Kais Saïed peut compter sur la « compréhension » de la Ligue des Etats arabes dont le secrétaire général (qui se trouve en Tunisie) a exprimé sa confiance au processus démocratique en Tunisie et des récentes mesures annoncées par le président de la République. Ahmed Aboul Gheit a ainsi souhaité aux autorités tunisiennes le succès dans leur bataille pour l'instauration d'un Etat fort traduisant la volonté du peuple tunisien. Une position qui lui a valu de chaleureux remerciement du chef de l'Etat.
Les choses se corsent. Les puissances étrangères se positionnent bien évidemment aux côtés des régimes qui correspondront avec leurs stratégies et qui préserveront leurs intérêts et Kaïs Saïed semble mener son chemin dans une sorte d'autarcie. Depuis la fin de la semaine dernière, les pressions sont allées crescendo. Déclarations, conférences de presse, séances plénières, réunions de commissions autour de la situation en Tunisie, mais du côté de Carthage et de la Kasbah c'est le silence des palais.