L'information est tout d'abord annoncée en début de soirée par la page Facebook officielle de Hamadi Jebali : l'ancien chef de gouvernement a été « kidnappé » et « séquestré » par une unité sécuritaire. Le compte officiel demande ainsi sa libération et fait porter la responsabilité de toute atteinte à son intégrité physique au président Saïed, à la cheffe du gouvernement Bouden et à la ministre de la Justice Jaffel. On se serait cru dans un remake de l'affaire Noureddine Bhiri. L'opinion publique s'emballe. « Le » Hamadi « le » Jebali, comme l'aime à l'appeler les Tunisiens farceurs, se tenait à carreau depuis un moment. Il se faisait rare. Alors pourquoi maintenant ? Et qu'est ce qu'on lui reproche comme méfaits ?
Peu après l'annonce de l'arrestation, Samir Dilou, député et ancien camarade de Hamadi Jebali à Ennahdha, donne des précisions. Et ces précisions sont en contradiction avec la première annonce. Dilou nous apprend que plus de quarante policiers ont fait irruption dans l'atelier où travaille Hamadi Jebali, ont saisi des pots de peinture et ont refusé de présenter un mandat en invoquant un ordre verbal du procureur de la République. Et c'est là que ça devient intéressant. Le député affirme que Hamadi Jebali a tenu, de son propre chef, à accompagner les policiers au poste de la police judiciaire pour s'assurer de la transparence des procédures et de peur qu'on lui fomente une accusation. Samir Dilou assure aussi qu'une équipe d'avocats s'est rendue sur place afin de le soutenir et de défendre ses droits. Quid du kidnapping et de la séquestration ? Il n'en est rien. Le compte officiel de l'ancien chef du gouvernement a induit l'opinion publique en erreur en voulant reproduire le scénario de l'arrestation de Bhiri.
Plus tard dans la soirée, c'est au ministère de l'Intérieur de nous donner sa version des faits. Cette version confirme que Hamadi Jebali n'a été ni arrêté, ni kidnappé ou séquestré. Le monsieur a même été sommé de quitter le poste de police. Le département nous raconte une histoire d'investigations autour d'un local suspect à Akouda, sur la base de délation des riverains. On nous dit que des mouvements suspects ont été repérés dans le garage où des ouvriers étrangers se rendaient régulièrement. Se trouvant dans une zone résidentielle, les activités dans ce garage ont suscité les suspicions. Grosse surprise lors de la descente. Le ministère affirme que ses unités ont découvert que l'usine est au nom de l'épouse de Hamadi Jebali. Le couple faisait travailler des personnes de nationalité étrangère illégalement, au noir ! Le fait est que le département a pu mettre la main sur quatre individus, tous sans cartes de séjour. L'un d'eux a avoué qu'il est entré clandestinement sur le territoire tunisien par voie terrestre depuis un pays voisin. Tous travaillaient donc illégalement au sein de l'usine. Un beau témoignage d'exemplarité de l'ancien chef de l'exécutif et son épouse. En plus de la découverte d'employés clandestins, les unités disent avoir saisi « trois » bouteilles d'Acétylène, produit classé dangereux, « deux » fours électriques et une quantité de sacs contenant des produits inflammables et des restes d'aluminium. Rien sur les pots de peinture dont parlait Samir Dilou. Du Côté de Hamadi Jebali, le ministère précise que le monsieur a essayé d'entraver les enquêtes et la saisie et a insisté pour accompagner son épouse au poste de police. Par la suite, et alors que le ministère public a autorisé la présentation des suspects à la direction de la Garde nationale d'El Aouina, Hamadi Jebali a été sommé de quitter le poste de police.
Le mouvement Ennahdha, auquel appartenait l'ancien chef du gouvernement, a réagi dans la soirée appelant à sa libération, faisant fi des informations officielles sur sa non-arrestation. Quand bien même, le parti islamiste ne comptait pas rater une occasion pour récupérer cette histoire politiquement. Ennahdha déclare ainsi qu'il s'agit d'une intimidation des adversaires politiques en essayant de leur coller au dos de fausses accusations. « C'est une atteinte à l'un des symboles de l'Etat, notamment, à la suite de la position favorable annoncée par Hamadi Jebali par rapport au Front du Salut ».
Ce que l'on sait c'est qu'il est question ici d'une fausse arrestation, d'un ancien chef du gouvernement et de son épouse qui emploient des sans-papiers au noir et de matériaux inflammables et dangereux en petite quantité saisis dans leur atelier. Il faudra attendre le développement de l'enquête pour savoir s'il est aussi question d'une nouvelle fausse affaire.