C'est un discours enflammé que le président de la République, Kaïs Saïed, a prononcé devant un obéissant ministre des Affaires étrangères en réponse à l'avis de la commission de Venise sur l'amendement de la composition de l'instance des élections et sur le calendrier politique tunisien. Quoi de mieux pour raviver une popularité en berne que d'agiter la menace de l'ingérence extérieure et de se poser en noble défenseur de la souveraineté nationale. Sauf que, comme à chaque fois, le chef de l'Etat ne mesure pas la conséquence de ses actes exagérés. Comme le fait si bien remarquer l'ancienne conseillère de feu le président Béji Caïd Essebsi, Saïda Garrache, la première faute dans cette histoire est que le chef de l'Etat en personne prenne la peine de répondre à l'avis de la commission de Venise. « Le chef de l'Etat ne doit pas répondre par un discours une commission consultative étrangère dont notre pays est membre et dont il vient de recevoir la présidente en avril 2022 et l'évoquer en disant « la femme » », a fait remarquer l'ancienne conseillère soulignant la misogynie du président. Dans le statut qu'elle a publié le 31 mai 2022, elle conclut en disant : « Le président de la République répond à ceux qui sont de son rang, c'est-à-dire les chefs d'Etat. Mis à part cela, il y a d'autres canaux pour faire parvenir une position officielle ». Sauf que Saïda Garrache n'a pas prévu le besoin du président de s'exposer et de faire le spectacle pour ses fans et ceux qui croient encore qu'il porte la solution. Devant une popularité en berne et avec les claques assénées à son projet de dialogue national par l'UGTT et les doyens des facultés, le chef de l'Etat avait besoin de reprendre du poil de la bête. Et quoi de mieux, dans ce contexte, que la défense d'une souveraineté nationale supposément attaquée par une simple commission consultative. Le président de la République, Kaïs Saïed, choisit d'occulter et d'ignorer les difficultés réelles et préfère mettre l'habit blanc d'un triste Don Quichotte qui se crée des combats fictifs et en sort des victoires pathétiques. On remarquera que l'ancien enseignant de droit constitutionnel ne répond, à aucun moment, sur le fond de l'avis exprimé par la commission de Venise. Il préfère invoquer le temps du colonialisme –ou du protectorat, tout dépend du pays dans lequel on s'exprime- et reprocher aux Européens leur inaction en ce temps-là.
Par ailleurs, Kaïs Saïed semble ignorer que l'avis exprimé par la commission de Venise est loin d'être un simple exercice intellectuel. L'avis dont il est question a été demandé par l'Union européenne. Celle-ci va donc le prendre en considération dans la mise en place de ses politiques futures en lien avec la Tunisie. Le contribuable européen doit pouvoir savoir où et comment son argent est dépensé. Par conséquent, l'Union européenne ne peut se permettre de dépenser cet argent dans un pays qui sombre dans la dictature et qui ne peut pas présenter de calendrier politique crédible. Avec cette sortie du président de la République, qui classe les membres de la commission de Venise comme personae non grata et qui déclare qu'il n'y aura pas d'observateurs européens lors des prochaines élections, la position européenne ne peut que se diriger vers un sévère ralentissement de la coopération bilatérale. Se posera ensuite la question de savoir quelle sera la position des pays européens comme la France, l'Italie, l'Allemagne et autres vis-à-vis de la Tunisie et de son calendrier politique. Depuis le 25 juillet, plusieurs cercles d'initiés, notamment en matière de coopération avec les entreprises et de financement de projets ont déjà constaté un vrai recul de la part d'un nombre de partenaires habituels. L'avis de la commission de Venise ne fera qu'empirer les choses et on peut désormais supposer que l'Union européenne ne participera pas à la bonne tenue des prochaines échéances électorales tunisiennes à l'instar du référendum ou des élections législatives prévues pour le 17 décembre prochain.
D'un autre côté, la Tunisie multiplie les efforts pour s'octroyer un financement de la part, notamment, du Fonds monétaire international (FMI) pour boucler son budget et préserver ses finances publiques. La Tunisie n'a même pas réussi à boucler son budget de l'année 2021 et les missions de mendicité se multiplient. C'est loin d'être une position idéale pour se permettre de donner des leçons. S'il était sensible à cette problématique, Kaïs Saïed ne se serait jamais permis cette envolée lyrique stérile contre un simple avis consultatif. Aujourd'hui, les pays et les institutions qui pourraient venir en aide financièrement à la Tunisie prendront en considération, non seulement l'avis technique de la commission de Venise, mais également la réaction politique enflammée du président de la République. Inutile de préciser que cela risque de sérieusement compliquer les choses. Kaïs Saïed n'hésite pas à invoquer la souveraineté nationale chaque fois que ses propres plans et ses propres décisions sont critiqués ou même juste analysés à l'étranger. Le fait de n'avoir aucune souveraineté sur le plan agricole par exemple, ou sur le plan financier, ne le dérange nullement. Par contre, il monte sur ses grands chevaux dès qu'il s'agit de la chose politique et de la remise en question de la marche forcée dans laquelle il a engagé le pays. En novice de la politique et des relations internationales, Kaïs Saïed ignore qu'il n'a pas les moyens de sa politique, ni même la politique de ses moyens.