Elle n'a que huit ans et pourtant son quotidien est des plus pénibles. Depuis le 15 septembre, elle se rend chaque jour à l'école pour rentrer dans la foulée, chez elle, en pleurs. La maîtresse n'était pas au rendez-vous. Ses camarades ont eu plus de chance, leur instituteur était présent. Elle, elle, n'est pas la seule à faire des va-et-vient inutiles chaque jour depuis presque deux mois. Ils sont 750.000 élèves dans le même pétrin, sans cours, sans école. Les enseignants suppléants, contractuels et vacataires boycottent l'école. Le ministère de l'Education s'est, lui, engagé avec les parties sociales dans un bras de fer interminable. Plus de 14.000 enseignants ont refusé d'intégrer leurs postes à la rentrée. Ils revendiquent leurs salaires, leur titularisation, et l'application des accords signés avec le ministère de l'Education. En bref, ils exigent leurs droits à une vie digne dans un contexte de crise socio-économique. Le département, lui, crie au chantage. Il affirme que les revendications avancées par les parties sociales sont impossibles à satisfaire prétextant – comme d'habitude – le manque de moyens financiers. Hier, il a haussé le ton lançant un ultimatum aux enseignants boycotteurs les appelant à réintégrer leurs postes le 10 novembre au plus tard. A défaut, des mesures juridiques seront engagées. Il a expliqué, dans un communiqué, les solutions qu'il avait proposé à la Fédération de l'enseignement de base, mais celle-ci est complètement étanche au plan de résolution de crise présenté par le ministère. Entre temps, 750.000 élèves sont privés de leur droit le plus élémentaire. Ceux dans les régions sont, d'ailleurs, les plus impactés. C'est dans les petites délégations de l'intérieur du pays que se trouvent le plus grand nombre d'enseignants suppléants, vacataires ou contractuels. En plus des kilomètres qu'ils doivent se faire tous les jours pour arriver à leurs écoles, les élèves de ces zones oubliées de la Tunisie se retrouvent chaque jour dans des classes avec personne à bord. Après tout, sans salaire, les enseignants n'ont plus de quoi payer leur loyer et se nourrir. Cela ne semble pourtant pas déranger le ministère de l'Education. De négociation en négociation rien ne se résout et chaque partie campe sur sa position au détriment des élèves et des enseignants. La position de ces derniers est d'autant plus compréhensible. Le ministère s'est, en effet, contenté de proposer une nouvelle forme de contrat pour la promotion de 2022, uniquement. Conformément aux dispositions de l'article 108 de la loi régissant la fonction publique, ces contrats seront d'une durée maximale de trois ans au terme desquels les enseignants concernés seront intégrés avec le grade d'enseignant d'école stagiaire. Ces contrats incluent tous les droits et garanties des instituteurs de l'enseignement primaire, notamment un salaire net de 1340 dinars ainsi que les primes. Pour les titulaires d'une licence appliquée en éducation et enseignement (promotion 2022), le ministère n'a trouvé d'autre solution qu'un contrat d'une durée d'une année. Suite à quoi, un recrutement aura lieu avec le grade d'enseignant d'école stagiaire, comme pour les diplômés des sessions précédentes. Les vacataires devront, eux, attendre la publication d'un projet de décret vers la fin du mois de novembre 2022. Cela permettrait leur recrutement, selon le ministère de l'Education. Pour les promotions précédentes – 2018, 2019, 2020 et 2021 – le département ne mentionne rien dans son communiqué. Les concernés n'ont toujours pas été titularisés, selon le syndicat.
Les propositions du ministère n'ont fait qu'envenimer la situation davantage. Le secrétaire général de la Fédération générale de l'enseignement de base, Taoufik Chebbi, a, d'ailleurs, accusé le ministère de l'Education d'avoir déformé la réalité dans une tentative de retourner l'opinion publique contre les enseignants. Le syndicat envisage de continuer sur la même lancée en organisant des mouvements de protestation. Il compte, également, formuler une réponse officielle au communiqué de l'Education lors de sa réunion prévue aujourd'hui. Face aux menaces du département de Fathi Sellaouti, la réponse du syndicat risque d'être agressive et exacerber les tensions qui ont marqué les récents échanges entre les deux parties, laissant élèves et enseignants entre l'enclume et le marteau, et le secteur s'enliser davantage.