Kaïs Saïed s'est rendu la semaine dernière en Arabie Saoudite pour participer au sommet sino-arabe. Devant un parterre d'une bonne vingtaine de chefs d'Etat, il a déclaré grosso modo que la page de la mondialisation devait être tournée afin d'adopter de nouvelles méthodes de gouvernance. Quelles sont ces méthodes ? Il ne les a pas exposées. A-t-il expérimenté ces méthodes dans son propre pays ? Non. Y a-t-il un seul pays au monde qui adopte ces méthodes ? Pas à notre connaissance. Comment entend-il exporter les produits des industriels tunisiens, s'il met un terme à la mondialisation ? On ne sait pas. Comment entend-il alimenter son marché en médicaments, voitures, pièces d'industrie et de milliers d'autres marchandises non produites localement ? On l'ignore. Tout ce qu'il dit devant le premier pays de la planète à bénéficier de la mondialisation est qu'il faut arrêter cette mondialisation et adopter de nouvelles approches. Kaïs Saïed a le chic de professer tout le temps des théories d'un autre âge qu'il ne peut même pas appliquer chez lui, lui qui a les pleins pouvoirs. Comme un disque rayé, il répète des choses qui n'ont pas de sens, agacent et font perdre un temps précieux. C'est ce qu'il a fait devant les participants au sommet sino-arabe. Il nous a foutus la honte ? C'est le minimum que l'on puisse dire. Kaïs Saïed parle pour ne rien dire et il tient à le faire savoir.
Aussitôt le sommet fini, le président est parti à la Mecque pour les rites du petit pèlerinage, la Omra. Théoriquement, et religieusement, la Omra, tout comme le Hajj, sont quelque chose de personnel. C'est une affaire entre l'individu et Dieu. D'après les érudits, aussi bien la Omra que le Hajj doivent être payés par le pèlerin. Sauf que ce qui est valable pour le commun des mortels ne l'est pas pour les dirigeants politiques. Pour ces derniers, le pèlerinage (petit ou grand) ne s'effectue pas discrètement, il s'effectue devant les caméras. Il n'est pas payé par l'individu, il est payé par les Saoudiens. Chose que j'ai apprise lors d'un voyage officiel à Ryadh il y a quelques années, les Saoudiens offrent systématiquement une excursion à la Mecque à tous les dirigeants politiques qui viennent leur rendre visite. Chez nous, on envoie nos invités à Djerba, Tozeur, Kairouan et Sidi Bou Saïd. Chez eux, ils les envoient à la Mecque et Médine. Ainsi donc, Kaïs Saïed a bénéficié d'un voyage gratuit Ryadh-Mecque. Il aurait pu jouer la discrétion, sauf que non, il a tenu à immortaliser le moment et à le montrer en publiant, sur Facebook, une série de photos autour de la Kaâba. Parenthèse, en passant, Facebook est le symbole même de la mondialisation que rejette le président. En médiatisant sa Omra, Kaïs Saïed fait exactement comme font l'ensemble des chefs d'Etat des pays islamiques et exactement comme ont fait ses prédécesseurs. Bourguiba, Ben Ali et Marzouki ont également profité d'un voyage en Arabie Saoudite pour un saut à la Mecque afin de montrer à la population qu'ils sont pieux et proches de Dieu. Kaïs Saïed a beau dire qu'il faut adopter de nouvelles approches de gouvernance, il agit pareillement que ses pairs et ses prédécesseurs.
Dans un célèbre sketch, l'humoriste français Gaspard Proust, a comparé les trois religions monothéistes pour conclure « qu'il y a une religion révélée supérieure à toutes les autres, c'est le christianisme, point, et je le prouve. Elle est la plus subtile des religions quand on est, un tant soit peu, hédoniste. Dans le christianisme, pour aller au paradis, il faut racheter ses péchés. Il faut donc en commettre. On ne peut pas confesser le slip propre. Avant d'y aller, on a quelque chose à raconter au monsieur. On va souiller, on se drogue, on trompe sa femme, on bat sa femme. On vient, on raconte, il rachète, on ressort et on recommence ». En islam, le pardon ne s'accorde pas après une séance de confession avec l'imam de la mosquée du coin. Ni après un déplacement à la Mecque, encore moins quand il s'agit d'une excursion tous frais payés, en marge d'un voyage professionnel. Si Kaïs Saïed pense leurrer le Bon Dieu, il se trompe. S'il pense racheter ses péchés, il est dans la mauvaise religion. S'il pense duper les Tunisiens, qu'il sache que la majorité d'entre nous ne se fait plus avoir par ce genre de clichés. Depuis qu'il s'est accaparé les pleins pouvoirs, Kaïs Saïed a commis un très grand nombre d'actes répréhensibles et d'injustices. Il est en droit de clamer le pardon auprès de Dieu, mais il doit savoir que le pardon ne s'accorde pas après un pèlerinage. La Mecque n'est pas un hammam où l'on se débarrasse de ses péchés. S'il veut obtenir le pardon divin, Kaïs Saïed doit agir en président juste et équitable et c'est loin d'être son cas. Il doit cesser d'abuser de son pouvoir pour atteindre ses adversaires politiques et c'est loin d'être son cas. Il doit cesser de commercer avec l'image des pauvres et c'est loin d'être son cas. Il doit cesser de commettre des injustices et c'est loin d'être son cas.
Depuis qu'il s'est accaparé les pleins pouvoirs, Kaïs Saïed n'a cessé de commettre des injustices. Ça va des commerçants assimilés à des spéculateurs jusqu'aux hommes d'affaires assimilés à des voleurs, en passant par les hommes politiques assimilés à des corrompus. Il a jeté en prison les uns et interdit de voyage et assigné à résidence les autres. Il a licencié de valeureux magistrats désobéissants et tyrannisé un nombre inestimable de fonctionnaires. Kaïs Saïed a beau clamer sur tous les toits qu'il adopte de nouvelles approches de gouvernance, il ne fait que répéter ce que font tous les autres : injustices, populisme, promesses et inefficacité. Il y va jusqu'au petit détail, celui des photos de la Omra. Même ça, il n'a pas su se distinguer des autres en agissant dans la discrétion et la piété sans calcul politique. Et quand on fait un pèlerinage intéressé, on ne se lave pas de ses péchés, on ne fait que se salir davantage.
Les mêmes méthodes aboutissant systématiquement aux mêmes résultats, le sort de Kaïs Saïed ne devrait pas être différent de tous ceux qui ont fait la Omra comme lui.