La Mecque, terre des pauvres, des laissés pour compte et des persécutés. Là où on respire la spiritualité, où on transpire la sainteté et où on se rapproche de Dieu. Des lieux saints où on oublie les considérations futiles de ce bas monde. Ici pas de classes, pas de races, pas de castes, les musulmans sont tous fils d'Adam et d'Eve. Les hommes s'habillent de simples draps blancs, n'affichent aucun signe extérieur de richesse et effectuent les mêmes gestes, dans un rituel humble et humain et qui rapproche des pèlerins venus des quatre coins du monde les uns des autres. La Mecque, c'est aussi là où on se fait piétiner comme des moins que rien, où on se fait trainer comme du bétail où les plus fortunés ont plus de chance de s'en sortir que les autres. Hôtels 5*, malls de luxe, guides touristico-religieux et voyages organisés, les plus fortunés peuvent aspirer à un séjour des plus confortables en lieux saints. Les autres, les pèlerins lambda, ceux qui ont économisé des années pour se payer ce voyage « d'une vie », se voient traiter comme des humains de seconde zone. Un minimum de services leur est offert et la mécanique qu'ils sont tenus d'accomplir ne leur est pas toujours correctement expliquée. Des millions de pèlerins perdus, livrés à eux-mêmes et qui ne comprennent pas forcément les indications et les mesures de sécurité qui leur garantiront la vie sauve.
En lieux saints, les fidèles meurent par centaines. Bousculés, étouffés ou écrasés par des grues, ils s'entassent à même le sol et se font ramasser par des pelleteuses. Ces fidèles, dont certains, auront attendu toute leur vie pour fouler de leurs pieds ces lieux saints, se verront mourir dans les lieux de leur convoitise. « Une aubaine » pour ces centaines de fidèles qui auront eu la chance de mourir à La Mecque. Mais il est très peu probable que les musulmans du monde aient prié Dieu pour mourir écrasés par une grue, ou étouffés sous le poids de leurs semblables.
L'horrible bousculade qui a fait plus de 700 morts à Mina le jour de l'Aïd et plus de 800 blessés n'est en effet pas la première et ne sera, sans aucun doute, pas la dernière non plus. Des précédents, tout aussi meurtriers ou même plus, se sont succédés sur La Mecque et le Royaume n'en a visiblement pas tiré les leçons nécessaires. Aujourd'hui encore, Riadh préfère ne pas se reconnaître coupable de failles sécuritaires et d'une organisation défaillante et impute la majorité de la faute aux pèlerins, accusés de ne pas avoir « su se restreindre aux mesures de sécurité qui leur ont été imposées ».
En ces lieux saints où wahhabisme et capitalisme se mélangent, on n'en a que faire de la valeur de la vie humaine. Les morts sont entassés comme du bétail tué en ce jour de l'Aïd et les dépouilles sont jetées sur des camions de fortune avant d'être inhumés à la pelle.
Ici, en ces lieux saints, le pèlerinage, l'un des cinq piliers de l'islam, s'apparente plus à un business qu'à une communion spirituelle. Dans ce pays riche qui accueille chaque année plus de pèlerins que ses structures sont prêtes à supporter, s'investit plus dans la propagation du wahhabisme que dans la protection de ses pèlerins.
L'Arabie saoudite n'en a que faire de ces pèlerins que le Royaume accueille chaque année et qui ne font que renflouer des caisses qui débordent. En plus des hydrocarbures, les gains du pèlerinage (hajj et autres omras à profusion) servent chaque année à permettre au royaume wahhabite de bénéficier de quelques milliards de dollars supplémentaires. Ces accidents feront-ils de La Mecque une destination à risque ? Sera-t-elle bannie par les voyageurs du monde ? Les pays émettront-ils des restrictions de sécurité à l'adresse de leurs ressortissants ? Qui se risquerait à un tel blasphème ? Comment interdire le royaume de Dieu aux fidèles ? Comment barrer la route des lieux saints à des milliers de musulmans à la recherche d'un pardon qu'ils espèrent connaitre en accomplissant ce dernier rite. Accomplir le hajj et mourir. Voilà qui est fait pour des centaines d'entre eux.
Pour les plus pragmatiques, en revanche, les critiques restent timides face à ce drame. Du côté de chez nous, on adresse ses condoléances au pays qui en est responsable. Béji Caïd Essebsi envoie un message de condoléances au roi saoudien exprimant la solidarité de la Tunisie avec le royaume d'Arabie saoudite suite à ces événements douloureux. Douloureux pour qui au juste ?
A quoi s'attendre de la part d'un pays qui consacre, aujourd'hui encore, des pratiques moyenâgeuses qu'on arrive à peine à croire réelles ? Décapitations en place publique, lapidations de journalistes, crucifixion de jeunes manifestants, et autres jugements tout aussi inimaginables…
Aujourd'hui, l'Arabie saoudite vient d'être choisie à la tête du conseil des Droits de l'Homme à l'ONU. Est-ce le début de la fin ?