En compagnie de sa nouvelle amie Giorgia Meloni, notre Président s'est affiché avec son plus beau sourire. Une série de photos officielles les montre même rire tous les deux aux éclats et échangeant des regards complices. Elle est bien sympathique cette image de symbiose entre Carthage et Rome. C'est à vous faire oublier les réminiscences de l'antique ressentiment. Ceux qui ne connaissent pas très bien notre Président si spécial, diront qu'il est normal qu'un chef d'Etat affiche son plus beau sourire face à son invitée. C'est normal oui, sauf que les Tunisiens viennent de découvrir ce visage souriant, parce que notre Président ne nous a jamais souri. Au contraire, pour s'adresser à ses compatriotes, il a toujours affiché une mine sévère, renfrognée, à la limite du lugubre. En découvrant ce nouveau visage présidentiel, certains ont été jaloux, du chauvinisme s'est invité dans l'histoire et on a commencé à réclamer ce même sourire pour les Tunisiens.
Au-delà de ce détail bien dérisoire, l'amitié entre les dirigeants des deux rives n'est pas dénuée de sens. « Je suis très heureux de discuter avec vous de nos problèmes. Je le dis tout haut : vous êtes une femme qui dit tout haut ce que les autres pensent tout bas », déclamait Saïed. Effectivement, la dame ne cache pas son lien avec le fascisme : « J'ai un rapport serein avec le fascisme », disait-elle. Elle n'hésite pas à proférer des propos ouvertement réactionnaires et racistes. Le rapprochement idéologique entre les deux n'est pas illogique. Il est marqué par des propos xénophobes et racistes (on se rappellera la honteuse affirmation présidentielle que les Subsahariens ambitionnent de changer la composition démographique des Tunisiens). Il est marqué par le populisme des deux parties. Giorgia Meloni est la plus à même parmi les Européens à amadouer un Kaïs Saïed souverainiste. Elle n'ira pas critiquer les dérives autoritaires du régime. Elle n'appellera pas au retour de la démocratie. Elle n'exhortera pas les autorités tunisiennes à respecter les droits et libertés. Non, tout cela ne l'intéresse pas. Elle n'ira pas s'ingérer dans les affaires internes du régime. Tout ce qui l'intéresse c'est de freiner les flux migratoires vers l'Italie et donc, par truchement, vers l'Europe. Ainsi, après sa visite express au début de la semaine, elle sera de retour dimanche en compagnie de la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen.
Kaïs Saïed joue cette carte stratégique de la menace migratoire pour imposer ses conditions, tout en maintenant l'illusion d'une souveraineté inviolée et d'un rapport d'égal à égal. Le fait est que les Tunisiens sont la première nationalité à être retenue dans les centres de rapatriement où ils subissent des traitements inhumains dans le silence de leur pays. Le fait est que la coopération voulue par l'Italie ne bénéficie pas réellement aux Tunisiens. Le but de l'Italie et, par extension des pays Européens du sud, est de faire de la Tunisie la gardienne de ses frontières. Cela implique d'intercepter les embarcations et de les détourner vers notre pays, une externalisation du problème migratoire. C'est nous dire à voix haute, gardez ces migrants qu'on ne saurait accueillir, sur votre sol, contre quelques miettes. Et de là on comprend l'insistance d'une Meloni quant à l'octroi de prêts ou d'aides financières à la Tunisie. Il faut stabiliser le pays, même superficiellement, le garder sous perfusion pour éviter que de plus en plus de migrants se jettent en mer. On décoche un sourire, on caresse dans le sens du poil le chef d'un régime autoritaire pour qu'il accepte de jouer le rôle de gendarme de la Méditerranée. Et aux applaudisseurs d'applaudir la grande sagesse de leur chef et d'encenser le soutien « respectueux » au régime de l'extrême droite italienne.