En Tunisie, les pénuries se sont, petit à petit, transformées d'événements inquiétants en constat routinier. Les citoyens ne cherchent plus à comprendre l'origine du problème ou à avoir des explications plausibles à ce sujet. Ils ne pensent qu'à une seule chose : identifier les magasins ou les épiceries pouvant répondre à leurs besoins. « Les produits seront de nouveau disponibles durant les prochaines heures », « Les marchandises sont exposées et il n'y a pas de pénuries ». Des affirmations qui n'ont plus aucun sens pour le Tunisien lambda, même si elles sont prononcées par des hauts-cadres et des représentants du gouvernement ! Les pénuries se font de plus en plus fréquentes et gagnent du terrain en matière des marchandises concernées. Avant le 25 juillet 2021, nous nous étions habitués à quelques pénuries au niveau du lait ou du carburant. Ces événements se faisaient rares, mais suscitaient une flopée de réactions et d'interprétations. À chaque fois, les ministres, hauts-cadres, et même des membres de l'ARP se retrouvaient dans l'obligation de s'exprimer au sujet de la chose, de préciser les raisons de l'indisponibilité de certains produits et d'essayer de rassurer les citoyens. Malheureusement, cette communication directe avec les citoyens est devenue plus proche du mythe que de la réalité. Les apparitions et interviews des ministres ont atteint une telle rareté qu'on en est venu à oublier l'existence de quelques-uns. L'ancienne cheffe du gouvernement avait donné l'exemple en occupant ses fonctions durant une année, neuf mois et 21 jours sans accorder une seule interview. Depuis le 25-Juillet, le gouvernement s'est transformé en une entité quasi-isolée de la rue. La majorité de ses membres ne cherche pas, évite ou même refuse d'accorder des interviews. Quelques ministres avaient pris ce genre de risques. Mais, la plupart de ces tentatives s'avéreront être, par la suite, défaillantes, voire chaotiques. On peut citer à titre d'exemple les explications fournies par l'ancienne ministre de l'Industrie, des Mines et de l'Energie, Neila Gonji qui avait tenté de tenir le week-end et la fête du Mouled comme principaux responsables d'une pénurie de carburant en Tunisie. Comme s'il s'agissait d'imprévus et d'événements qu'on ne pouvait pas anticiper ! Ce genre de pseudo-arguments non fondés est à l'origine d'une crise majeure entre les citoyens et leur gouvernement. Les pénuries observées aux niveaux des carburants, du lait, du pain, de la farine ou encore du sucre nous démontrent clairement cela : les cadres et responsables de l'administration ont beau assuré que les marchandises manquantes seront de nouveau disponibles dans les points de ventes dans les prochaines heures, rien ne calmait les consommateurs ! Ils sont encore là à faire la queue pour un litre d'essence ou pour un kilo de farine. Afin de comprendre cela, rappelons cet exemple : la pénurie des carburants enregistrée l'année dernière en octobre 2022. On avait passé près de quatre jours à entendre les mêmes déclarations : « L'essence est disponible… La quantité couvre nos besoins… Le retour à la normale sera enregistré dans les prochaines heures ». Il s'agit des phrases prononcées par la PDG de la Société tunisienne des industries de raffinage (Stir), Fekhta Mehouachi, mais aussi, par Salouen Smiri, secrétaire général de la Fédération générale du pétrole et des produits chimiques, relevant de l'Union générale tunisienne du travail (UGTT). D'ailleurs, ce dernier a, hier 6 décembre 2023, accordé une déclaration similaire au sujet de la pénurie actuelle. Le Tunisien ne semble pas être convaincu de la chose. Il ne fait plus confiance à ces déclarations et continue à faire la queue pour avoir du carburant. Pour ce qui est de l'Utica, critiquer le silence et l'absence de réactions de la part de l'organisation patronale ne sert plus à rien puisqu'elle a, sans l'annoncer, fait vœu de silence. Ces leaders se sont limités à se prendre en photo lors de quelques rencontres officielles. Eux aussi semblent éviter les médias ! Bien évidemment, et malgré ces déclarations, la pénurie et les files d'attente se sont poursuivies. Les Tunisiens n'avaient pas confiance ni en les représentants de l'exécutif ni en les représentants des syndicats du secteur concerné. On pouvait observer à chaque station-service des citoyens fatigués d'attendre, mais refusant complètement de rentrer chez eux de peur de rater l'occasion de faire le plein d'essence. Tous et toutes étaient convaincus que les quantités disponibles, contrairement à la version officielle, n'étaient pas suffisantes et que l'acquisition de carburant était décisive ou encore vitale pour leur survie durant les prochains jours. Il est important d'insister sur l'incapacité de l'exécutif de convaincre les Tunisiens du contraire, car les pénuries se sont multipliées et plusieurs produits sont devenus impossibles à trouver. Malgré les nombreux discours cherchant à rassurer les consommateurs, le riz ou la farine ont disparu des rayons des grandes surfaces. L'épicier du coin, quant à lui, a jeté l'éponge. Il se contente de vendre ce que les fournisseurs proposent, même si les prix ne sont pas conformes à ceux fixés par l'Etat. Tel est le cas pour les œufs, le riz ou pour le pain. Les intermédiaires fixent des prix dépassant ceux définis par l'exécutif. Ce dernier se contente, de son côté, d'analyser purement théorique et d'affirmer que les prix ont été plafonnés. Les Tunisiens sont, donc, tous seuls face à la réalité des tarifs. Le dilemme est simple : jouer le jeu des prix gonflés et accepter l'impuissance de l'Etat ou se priver de ces rares marchandises.
Un sentiment d'abandon commence à s'installer auprès des Tunisiens. Ils doivent faire face à cette incompétence et à ce silence complice du gouvernement, mais aussi celui des quelques structures patronales et syndicales concernées. Aucune affirmation ne peut, désormais, calmer les consommateurs et les convaincre de ne pas se précipiter vers les files d'attente ou de se contenter d'acheter des quantités de marchandises couvrant uniquement leurs besoins. On ne pense plus qu'à stocker de peur de se retrouver un jour face à une famine.