La monopolisation des pouvoirs par le chef du gouvernement, Kaïs Saïed, depuis l'annonce des mesures exceptionnelles du 25 juillet 2021, a plongé le pays dans une véritable situation chaotique. Le coup de force du président de la République n'avait fait qu'accentuer la crise économique vécue depuis quelques années. Les Tunisiens s'étaient, déjà, habitués aux manques de certains produits tels que le sucre, l'eau ou la farine. Néanmoins, la situation s'est considérablement aggravée. Le manque s'est transformé en une véritable pénurie. Celle-ci s'est propagée pour toucher plusieurs autres produits. Les Tunisiens s'étaient même mis à considérer leur survie en temps de crise énergétique. Des milliers de voitures s'étaient amassées devant les stations-service sur tout le territoire. Pendant plusieurs jours, faire le plein d'essence était devenu une véritable quête. Il fallait faire preuve d'intelligence, d'audace et de patience, éteindre le moteur et faire la queue en se contentant de pousser sa voiture, se faufiler petit à petit sur des centaines de mètres et espérer collecter quelques litres afin de survivre jusqu'au soir du lendemain. Après des jours de pénurie, le chef de l'Etat avait, en guise de réaction, convoqué la ministre de l'Industire, des Energies et des mines, Neila Gonji, le PDG de la Société nationale de distribution des pétroles, Khaled Betin et le PDG de l'Entreprise tunisienne des activités pétrolières (Etap). Le 26 août 2022, soit deux jours après, le PDG de l'Etap est révoqué. Or, la commercialisation du pétrole brut et des produits pétroliers pour le compte de l'Etat ne font pas partie de son champ d'action. Les activités d'importation de pétrole brut ont été transférées à la STIR depuis le 1er janvier 2015. Le PDG de l'Etap n'avait, donc, aucun lien avec la pénurie en carburant. Nous l'avions dit, le problème de la pénurie du carburant peut être expliqué en deux phrases : la Stir a le monopole de l'importation du carburant en Tunisie et elle a des impayés auprès des fournisseurs. Ces derniers l'ont blacklisté exigeant que toute livraison se fasse en cash ! Il s'agissait d'un problème de liquidité. La Tunisie n'était plus habilitée à s'offrir le luxe des lettres de crédit. La principale cause n'est autre que la baisse de la note de souveraineté de la Tunisie par les différentes agences de notation. Moody's, Fitch Rating ou encore R&I avaient placé la Tunisie comme étant pays à risque de défaut de paiement. Elle était considérée comme Etat pouvant ne plus honorer ses engagements financiers. Ceci a poussé les fournisseurs et partenaires économiques à exiger un paiement cash à la livraison de toute marchandise. Bien évidemment, cette mesure ne s'était pas limitée au secteur des produits pétroliers. La pénurie peut être observée au niveau des produits faisant l'objet d'un monopole de l'Etat. Nous pouvons citer à titre d'exemple, le sucre, le café, le riz, l'huile, la farine et le blé qui sont importés et distribués par l'Etat ou sous son contrôle. Plusieurs navires chargés de blé ou encore d'huile végétale ont passé des semaines à attendre d'être payés avant de décharger leurs cargaisons. C'est dans ce cadre-là que s'inscrit l'incident du bateau maltais "EMEK S" transportant 6.000 tonnes d'huile végétale. Le navire avait passé deux semaines au port et de se rendre par la suite dans un autre pays européen. Le ministère du commerce avait assuré avoir refusé d'accepter la cargaison en prétextant que la marchandise n'était pas conforme aux standards internationaux. Or, le navire avait revendu la même cargaison à un pays appartenant à l'Union européenne. La Tunisie serait donc plus exigeante que l'Union européenne ! Bien évidemment, la véritable raison n'est autre que l'incapacité de la Tunisie à payer ses fournisseurs.
Malheureusement, le président de la République, Kaïs Saïed, au lieu de faire face à ce problème-là, multiplie les accusations de complots et de tentatives de porter atteinte à la sécurité nationale. Il s'est entretenu, en moins d'un mois, à deux reprises avec la cheffe du gouvernement, Najla Bouden, en plus de deux entretiens avec la ministre du Commerce, Fadhila Rabhi. A l'occasion des quatre rencontres, la présidence de la République avait publié des communiqués reprenant toujours le même concept : la poursuite en justice de ceux qui monopolisent les produits et œuvrent pour l'affamation du peuple et la perturbation de la sécurité alimentaire. Il s'agissait d'une réponse aux nombreux ras-le-bol et cris d'indignation lancés par les citoyens en raison des pénuries et de la dégradation du pouvoir d'achat. Or, c'est le gouvernement en place qui se charge d'importer les quantités nécessaires des produits alimentaires de base et des carburants. L'Etat gère le stockage des réserves nationales et les réseaux de distribution.
Face à la crise, la présidence de la République se contente de dénoncer des complots et de porter des accusations en l'air sans même pointer du doigt les coupables. Un discours politique dépourvu de faits ! Une absence totale de fondements et d'arguments. Il semblerait même que Kaïs Saïed ne soit pas bien informé de la situation et de la mainmise de l'Etat sur le marché, de la défaillance du système et des obstacles provoqués par notre bonne vieille bureaucratie. La numérisation/digitalisation, la suppression des autorisations et l'encouragement et la libération de l'initiative personnelle se limitent à jouer le rôle de slogans et de but qui semble quasi-impossible à atteindre. Un profond fossé se creuse entre la Tunisie et ses voisins et ses partenaires en raison de l'absence d'avancées en matière de collaboration économique. La complexité du système administratif tunisien et sa rigidité découragent les investisseurs et bloquent toute tentative de relance économique. En même temps, le pouvoir en place ne semble pas être convaincu de la nécessité d'opérer un véritable changement. Les tensions politiques ont pris le dessus sur la situation économique du pays.