Les tensions actuelles entre l'Algérie et le Mali pourraient avoir des répercussions significatives sur la Tunisie, compte tenu des liens économiques, politiques et sécuritaires étroits qui unissent Tunis et Alger, ainsi que des dynamiques régionales dans la zone du Sahel et du Maghreb. Voici une analyse détaillée de ces potentielles conséquences :
1. Sécurité régionale et stabilité frontalière • Impact sécuritaire : Les tensions algéro-maliennes, marquées notamment par les accusations du Mali envers l'Algérie concernant des liens présumés avec des groupes armés à ses frontières, risquent de provoquer une escalade dans la région sahélienne. Ceci pourrait impacter indirectement la sécurité de la Tunisie, avec des risques accrus tels que le trafic d'armes ou l'activité de groupes armés traversant les frontières. La Tunisie, partageant une frontière étendue avec l'Algérie (environ 1034 km), dépend fortement de la coopération sécuritaire algérienne pour contrôler ses frontières et lutter contre le terrorisme. Toute perturbation dans cette coopération serait préjudiciable à la sécurité nationale tunisienne. • Expérience passée : Historiquement, lorsque l'Algérie avait fermé ses frontières avec la Tunisie en 2013 en raison de préoccupations sécuritaires (notamment l'activité d'Al-Qaïda sur le mont Chaambi), l'économie et la circulation des personnes en Tunisie avaient été gravement affectées. Un scénario semblable pourrait se reproduire si les tensions avec le Mali s'aggravaient.
2. Commerce et économie • Echanges commerciaux : La Tunisie entretient des relations commerciales solides avec l'Algérie, avec un volume d'échanges atteignant 1,7 milliard de dollars avant la pandémie de Covid-19, dominé notamment par les exportations algériennes (gaz et énergie). Si les tensions algéro-maliennes aboutissent à la fermeture de l'espace aérien ou perturbent le commerce régional, l'économie algérienne en pâtirait directement, réduisant ainsi sa capacité à soutenir financièrement la Tunisie. L'Algérie a déjà offert plusieurs aides économiques à la Tunisie, notamment des prêts de 150 millions de dollars en 2020, puis de 200 millions en 2022, ainsi qu'une fourniture exceptionnelle de gaz domestique en 2025 pour faire face à la crise locale. • Zones de libre-échange : L'Algérie a récemment créé une zone de libre-échange avec la Tunisie à Taleb Larbi, à la frontière Est (du côté de Tozeur), plus grand point de passage frontalier du Maghreb. Cette zone a été créée pour stimuler davantage les échanges. Toute instabilité régionale découlant des tensions avec le Mali risquerait d'entraver ces initiatives commerciales, portant préjudice à l'économie tunisienne déjà fragilisée.
3. Tourisme • Touristes algériens : L'Algérie constitue un marché touristique majeur pour la Tunisie, avec plus de trois millions de touristes algériens enregistrés en 2023, représentant une part significative des 9,3 millions de visiteurs accueillis dans le pays cette année-là. Toute tension régionale conduisant à une fermeture des frontières ou une limitation des déplacements entre l'Algérie et la Tunisie aurait des conséquences très néfastes pour l'industrie touristique tunisienne, secteur vital de son économie.
4. Equilibre diplomatique • Neutralité tunisienne : La Tunisie applique une politique de « neutralité positive » dans les conflits régionaux, notamment dans l'affaire du Sahara occidental entre l'Algérie et le Maroc, afin d'éviter toute prise de position partisane. Or, les tensions algéro-maliennes pourraient placer Tunis dans une posture diplomatique délicate, surtout si Alger tente de pousser la Tunisie à adopter ses positions sur les enjeux au Sahel. Dans le passé, l'Algérie avait déjà tenté d'amener la Tunisie à modifier sa position sur la question du Sahara, mais Tunis avait maintenu sa neutralité. • Relations Tunisie-Mali : Bien que limitées, les relations entre la Tunisie et le Mali restent positives, notamment dans le cadre de l'Union africaine. Une escalade des tensions entre Alger et Bamako pourrait contraindre Tunis à prendre une position diplomatique susceptible d'affecter ses relations avec l'une ou l'autre des parties.
5. Dépendance énergétique • Dépendance énergétique vis-à-vis de l'Algérie : La Tunisie dépend fortement de l'Algérie pour son approvisionnement en gaz et en électricité, notamment via le gazoduc « Transmed » acheminant le gaz algérien vers l'Italie à travers le territoire tunisien. Toute crise politique ou économique en Algérie due aux tensions avec le Mali pourrait affecter la stabilité de ces approvisionnements, aggravant davantage les difficultés économiques tunisiennes déjà marquées par un déficit énergétique significatif.
Les tensions entre l'Algérie et le Mali pourraient affecter la Tunisie principalement à travers :
• Sécurité : Risques accrus à la frontière et perturbation éventuelle de la coopération sécuritaire avec l'Algérie. • Economie : Perturbation du commerce et réduction possible des aides économiques algériennes. • Tourisme : Risque de baisse du nombre de touristes algériens, secteur vital pour l'économie tunisienne. • Diplomatie : Situation délicate exigeant de maintenir une neutralité diplomatique prudente. • Energie : Menace potentielle sur la stabilité des approvisionnements en gaz et électricité en provenance d'Algérie.
Etant fortement tributaire de l'Algérie sur les plans économique et sécuritaire, la Tunisie aura tout intérêt à contribuer à l'apaisement des tensions régionales impliquant son voisin, tout en préservant sa politique de neutralité afin d'éviter de prendre position dans les conflits régionaux. Je suis convaincu que l'efficacité reconnue de la diplomatie tunisienne permettra de maintenir l'équilibre, de renforcer l'intégration et d'élargir davantage le cercle du rassemblement régional maghrébin.
*Président de l'Observatoire tunisien des Droits de l'Homme.
