Invité sur les ondes de la radio Jawhara FM, jeudi 29 mai 2025, le président de l'Ordre des ingénieurs tunisiens, Kamel Sahnoun, a dressé un état des lieux alarmant de la situation des ingénieurs dans le pays. Selon lui, de nombreux professionnels du secteur font aujourd'hui face à une pression croissante, voire à des poursuites judiciaires injustifiées, dans un contexte marqué par la confusion des responsabilités, la lenteur administrative et un encadrement légal inadapté. Plusieurs ingénieurs sont actuellement en détention préventive, bien qu'ils aient accompli leur travail selon les normes techniques en vigueur. « Les rapports d'expertise confirment souvent la conformité des études réalisées, mais ces ingénieurs restent poursuivis, notamment lorsqu'ils ont exercé en tant que consultants ou au sein de bureaux d'études », a-t-il expliqué. La problématique réside selon lui dans le manque de clarté sur les responsabilités dans les projets d'infrastructure. Une fois l'ouvrage réceptionné et mis en exploitation, ce n'est plus l'ingénieur initial qui doit en assurer la maintenance, mais les structures gestionnaires. Pourtant, en cas de défaillance ou de sinistre, c'est souvent l'ingénieur qui est mis en cause. Il a cité plusieurs cas emblématiques, notamment à Sfax, Kasserine et Tunis, où des ingénieurs sont poursuivis alors que les projets avaient passé toutes les phases de validation, de la réception provisoire à la réception définitive. Le représentant a dénoncé la lenteur extrême du système administratif tunisien : « Il faut deux ans pour désigner un bureau d'études, trois ans pour lancer un appel d'offres, et encore plus pour obtenir une réception définitive. Ce fonctionnement bureaucratique bloque les projets et ouvre la porte aux irrégularités ». Il a également pointé du doigt l'incapacité de l'administration à suivre le rythme et les exigences des projets techniques. « Les ingénieurs n'ont souvent pas la main sur le pilotage des projets. Ce sont des gestionnaires ou des administrateurs qui prennent les décisions sans toujours maîtriser les implications techniques ». Cette situation pousse de nombreux ingénieurs à quitter le pays. « Ce sont les mêmes ingénieurs qui, une fois installés au Canada, dans le Golfe ou en Europe, brillent par leur compétence. Cela prouve que le problème n'est pas lié à leur formation ou à leur compétence, mais à l'environnement professionnel en Tunisie. 6500 ingénieurs quittent le pays chaque année ! » a rappelé Kamel Sahnoun. Il a appelé à une réhabilitation du rôle de l'ingénieur dans les décisions publiques. « Dans les années Bourguiba, les ingénieurs étaient au cœur des projets nationaux. Des figures comme Mokhtar Latiri ont dirigé les grands chantiers industriels du pays. Aujourd'hui, même dans les entreprises publiques à vocation technique, les ingénieurs ne sont plus aux commandes ».
Interrogé sur la formation des ingénieurs, M. Sahnoun a estimé que le système tunisien reste performant, en témoignent les réussites à l'étranger. Cependant, il a exprimé des inquiétudes concernant la prolifération des établissements privés : « 28 autorisations ont été délivrées, mais seulement 22 établissements sont réellement reconnus » a-t-il déploré. En conclusion, il a appelé à remettre les ingénieurs au cœur des décisions techniques : « Si on veut sauver les services publics, il faut que les ingénieurs reprennent la main. Ce sont eux qui peuvent garantir la qualité et la sécurité des projets. Il ne s'agit pas de les placer au-dessus des lois, mais de respecter leur rôle et leur expertise ». Le doyen des ingénieurs a, en outre, annoncé que 71 projets relatifs à des établissements scolaires dans le gouvernorat de Sidi Bouzid ont été répartis entre douze ingénieurs, qui s'en occuperont bénévolement et gratuitement, en réalisant un diagnostic de la situation. Il a précisé que les études ont commencé il y a deux semaines. Kamel Sahnoun a également indiqué qu'un accord a été conclu cette semaine avec le gouvernorat de Médenine, portant sur la remise de 24 projets à 21 ingénieurs chargés d'étudier la situation des établissements scolaires de la région. Par ailleurs, une demande d'autorisation a été adressée à la présidence du gouvernement afin de leur permettre de collecter des fonds pour entreprendre directement les travaux de rénovation, en coordination avec le ministère de l'Education.