Tout repenser et tout changer: ce n'est pas le climat qui doit entrer dans l'économie mais l'économie qui doit entrer dans le climat La COP 30 (Conférence des Parties à la Convention-Cadre des Nation-Unis pour le changement climatique) s'est tenu à Belém au Brésil du 10 au 21 novembre 2025. Les enjeux de cette COP étaient à la croisée de crises politiques majeures et d'un moment charnière pour l'action climatique mondiale. Le risque climatique s'inscrit aujourd'hui dans une montée de désordres géopolitiques, migratoires, sanitaires et de transformations profondes du capitalisme. Il fragilise les sociétés et malmène les plus vulnérables. Il modifie nos comportements et nos modes de consommation. Le capitalisme numérique, des plateformes, des GAFAM (Google, Apple, Facebook, Amazon, Microsoft), de l'e- commerce et des réseaux sociaux s'est, envolé. Dans un contexte géopolitique très perturbé, le premier objectif des négociateurs à Belém (COP 30) était l'actualisation des contributions nationales. Le retrait américain de la COP s'est accompagné d'une stratégie de relance de la production et de l'utilisation d'énergies fossiles, assortie de menaces de représailles commerciales pour les promoteurs des alternatives bas carbone, a eu un effet déstabilisant sur le processus de négociation. Dès les premiers débats et négociations, la présidence Brésilienne et les acteurs impliqués se sont mobilisés pour rendre crédible l'idée, que, malgré bien des divisions, se consoliderait une communauté d'Etats et qu'à l'universalité apparente des savoirs, pourrait répondre une forme d'universalisme politique accompagnant la globalisation des risques à endiguer dans un monde en crise. La montée des autoritarismes et l'affaiblissement des démocraties sont sur tous les continents. L'habitabilité de notre planète et la préservation du vivant sont reléguées au second plan par nombre de dirigeants nationaux et internationaux.(1). Alors que se multiplient les tensions, les peurs mais surtout les impuissances, il n'y aurait qu'une seule issue possible, la compétition à outrance et les sacrifices individuels. Changement climatique, austérité, militarisme, surexploitation des ressources, marchandisation des vies, mise en cause des droits sociaux et environnementaux, remise en cause du droit international, menace de guerre généralisée. Dans un tel contexte réduire les émissions, à supposer que l'on y parvienne, ne suffira plus. Des dérèglements climatiques sont d'ores et déjà engagés, et pour des siècles. Une bascule historique est à l'œuvre sous l'impulsion d'un capitalisme mutant, plus agressif, sous l'égide d'une nouvelle internationale réactionnaire et d'une cohorte d'autocrates et de techno-fascistes. Dans sa fuite en avant, ce « capitalisme de prédation » entraîne l'humanité vers l'apocalypse. A Belém, face à la stratégie dévastatrice (et suicidaire) de relance des énergies fossiles de l'Amérique, et à une Europe affectée par le backslash qui érode ses ambitions climatiques, la dynamique de la négociation était désormais du côté des pays émergents et en particulier les deux géants asiatiques, la Chine et l'Inde. Pour le président Lula, c'était une bonne occasion de chercher à l'international un peu d'oxygène. Car, il est confronté à de multiples défis sur le plan intérieur et son mandat se déroule dans des conditions bien plus tendues qu'il y a vingt ans. Au Brésil, l'extrême-droite reste très populaire malgré sa défaite à la présidentielle et, grâce à des alliances avec les partis centristes au Parlement, domine le débat politique. Lors de cette COP, la présidence brésilienne a voulu capitaliser sur l'organisation de cette manifestation et faire de cette COP un marqueur du monde multipolaire auquel aspire désormais le "Sud global ». Elle a cherché à la fois de restaurer la confiance dans un multilatéralisme efficace et d'accélérer l'impact sur les émissions mondiales, tout en renforçant les capacités d'adaptation face aux effets croissants du changement climatique. Tous les observateurs ont souligné les limites, voire les contradictions du président Lula, qui a eu fort à faire pour ménager son allié encombrant (l'agrobusiness brésilien), qui sait se faire menaçant, tout en donnant à la communauté internationale les gages et les pistes d'action attendus de la part d'un pays hôte. L'autorisation, à la veille de l'ouverture de la COP, du forage de pétrole au large de l'embouchure de l'Amazone, n'en est qu'un exemple. Le lobby de l'agrobusiness était massivement présent à Belém. Ce lobby s'est présenté comme l'une des solutions à la crise climatique, en effaçant son évidente contribution aux problèmes que celle-ci génère. Pour Eve Anne Bühler et Pierre Gautreau: « (…) l'agrobusiness est à la manœuvre pour proposer des solutions environnementales et climatiques lui permettant d'échapper aux régulations contraignantes. (…) Il soutient la construction de son image d'acteur innovant et engagé pour la transition écologique, tout en démantelant de l'intérieur les outils censés le réguler et qu'il fait mine de soutenir résolument. » (AOC, Novembre 2025) Ces grand-messes du climat aboutissent le plus souvent à des textes consensuels. Certes, ils reconnaissent – sur le papier – la réalité des enjeux climatiques, mais ils ne sont que rarement suivis d'effets. Les déclarations finales sont davantage centrées sur les mécaniques institutionnelles que sur l'urgence environnementale, celle de Belém n'y échappe pas. Le changement climatique (et la biodiversité) sont traités dans les COP, comme un ensemble de problèmes auxquels il s'agit d'apporter de simples solutions techniques ou des mécanismes de compensation, sans que les conditions qui alimentent ce même dérèglement climatique (notamment liées au système économique et aux modes de production et de consommation) ne soient abordées dans les textes. Le langage diplomatique sur le climat sert alors, à fabriquer un récit institutionnel dont « la nature » et « la justice sociale et environnementale » sont absentes. Pour Michel Damian : il n'y aura pas de sitôt d'universalisme apaisé. On a basculé d'un dispositif de pensée et de pratiques à un autre. Il y a un glissement dans la gravité des constats et les prises de conscience. Pour prévenir, ou plutôt contenir autant que faire se peut les désastres, il conviendrait de transformer en profondeur les modes de production et de consommation. Pour Michel Damien, La question climatique a d'abord été pensée comme un problème classique de pollution, que l'on pourrait endiguer en donnant un prix au carbone, comme avec les marchés de permis de CO2. Une immense erreur de perspective. Car il s'agit d'un « problème beaucoup plus profond de trajectoire de développement ». On a été aveugle au fait que les flux d'émissions tiennent pour l'essentiel au socle productif, aux grandes structures industrielles et énergétiques, à la base matérielle des économies – emmenée par les flux de matières et d'énergie, avec des émissions massives de carbone, de méthane, et d'une bonne dizaine d'autres gaz à effet de serre émis par plus de 8 milliards, bientôt 9 ou 10, d'habitants sur Terre. Un temps, on s'est imaginé pouvoir décarboner sans trop toucher à l'économie et à ses structures. Faut tout repenser et tout changer. Les COP sont une chambre d'écho de l'état du monde. Nous attendons de chaque COP une inflexion décisive de la gouvernance mondiale du climat. Cette gouvernance semble condamner les COP à tenter de gérer les conséquences du réchauffement climatique, tout en évitant soigneusement d'en traiter les causes. Un processus de décision toujours le même mais de plus en plus critiqué: à Belém, les Etats s'accordent sur un texte à minima sans mentionner la sortie des hydrocarbures Paradoxalement, depuis que les COP ont inscrit la question de l'énergie fossile à leur ordre du jour, la présence des lobbies pétro-gaziers s'y fait de plus en plus pesante. Elle est visible dans les multiples évènements qui se tiennent parallèlement aux sessions de négociation, et plus discrète au sein des délégations officielles conduisant les négociations. Pas plus que la Convention climat datant de 1992 ou l'accord de Paris, la déclaration finale de Belém ne mentionne la question urgente de la sortie de toutes les énergies fossiles. La mise en œuvre de telle « promesse », reste encore à concrétiser. En cause, le processus de décision qui est toujours le même et de plus en plus critiqué. Il ne fait intervenir que les délégations nationales à huis clos, tout en donnant un poids important aux lobbies. Dans le même temps, les populations autochtones et les mouvements des jeunes pour le climat peinent à se faire entendre à l'occasion de ces événements. Une situation régulièrement dénoncée par les ONG qui réclament plus de transparence et une gouvernance prévenant les conflits d'intérêts.(2) Des appels d'élus locaux, ont été lancés en amont et pendant la COP, pour soutenir le rôle de la société civile dans les négociations internationales notamment un appel du collectif de maires de grandes villes, comme Tokyo, Londres ou Paris. Partout dans le monde, des citoyens engagés, des territoires et des entreprises, prouvent qu'il est possible d'agir, même dans un contexte politique difficile ou incertain. C'est à l'échelle locale que le niveau de confiance en l'action publique persiste, et c'est aussi là que la lutte contre le changement climatique, la biodiversité et la transition écologique prend corps. Sur les cinq continents, des acteurs, des idées, des lieux et des pratiques espèrent et résistent chaque jour. Leur engagement et actions sont des réponses essentielles pour préserver à la fois la démocratie et le bien commun « le climat ». La capacité à mobiliser des financements climatiques pérennes pour les territoires et les pays en développement est l'un des enjeux des négociations, souvent décisif pour le succès ou l'échec d'une COP. Elle a été mise à rude épreuve dans le contexte actuel de défiance des Etats-Unis à l'égard des processus onusiens et du climat, de fragmentation géopolitique et de faible appétence des pays dits développés à accroître leurs dépenses publiques. Pire, à mesure que les risques climatiques s'aggravent, les pays les plus vulnérables voient souvent leurs coûts d'emprunt augmenter, ce qui compromet la viabilité de leur dette et crée un cercle vicieux qui restreint davantage leur accès au financement externe. Pour financer la transition climatique des pays en développement, il faut 1 300 milliards de dollars par an. Des outils plus prometteurs étaient en discussion, impliquant de rendre plus équitable l'architecture financière internationale. Certains débats à la COP à Belém ont porté sur la nécessité de trouver des approches « pragmatiques » pour accroître les financements climatiques internationaux, tout en restant compatibles avec la structure actuelle du système financier mondial : Tropical Forest Forever Facility (TFFF), ou la création de contributions de solidarité mondiale (en anglais Global Solidarity Levies – GSL). Pour Romain Svartzman et Joseph Christopher Proctor : « si ces mesures peuvent être utiles à certains égards, elles risquent de n'apporter que des solutions partielles, tout en perpétuant les inégalités Nord-Sud existantes et sans leur permettre de suivre leurs propres trajectoires de développement. » Une restructuration plus profonde de l'architecture financière internationale, est de plus en plus nécessaire afin de traiter les problèmes fondamentaux de dette et de liquidité auxquels sont confrontés de nombreux pays du Sud, alors que plusieurs d'entre eux sont aujourd'hui au bord du défaut de paiement. La restructuration de la dette de pays en développement liée à des efforts environnementaux est souvent citée comme un élément clé d'une telle transformation. En échangeant une partie de leur dette souveraine contre des engagements d'investissement dans l'atténuation climatique ou la protection de la biodiversité, les pays lourdement endettés pourraient retrouver une marge budgétaire tout en contribuant aux objectifs mondiaux de durabilité. Il s'agit donc de concevoir les réformes et innovations financières pour le climat non pas comme de simples mesures techniques permettant de combler un écart de financement – un schéma où la manière de lever les fonds importerait peu –, mais comme des processus politiques qui détermineront l'équité d'une architecture financière internationale en profonde recomposition et en phase avec les objectifs de durabilité. Romain Svartzman et Joseph Christopher Proctor (Nov 2025) Belém une farce de la diplomatie climatique : "Quand tu auras cessé d'espérer, je t'apprendrai à vouloir" (Sénèque) L'ambition originelle de la Convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques, signée en 1992, était de « stabiliser […] les concentrations de gaz à effet de serre dans l'atmosphère à un niveau qui empêche toute perturbation anthropique dangereuse du système climatique ». Trente ans plus tard et après Belém : l'espoir est caduc ? Les émissions mondiales de CO2 atteignaient 15 milliards de tonnes en 1972, au moment de la première grande conférence sur l'environnement tenue alors à Stockholm. En 2025, après un demi-siècle d'efforts diplomatiques, et tant d'énergie mobilisée, elles avaient bondi à plus de 40 milliards de tonnes. « Depuis 50 ans, tous les gouvernements ont échoué à agir face au changement climatique. Plus d'excuses. La somme des politiques aujourd'hui en place nous mènera à un monde plus chaud de 2,7 °C, et peut-être catastrophique de 3,6 °C, au-dessus des niveaux préindustriels. », écrivaient déjà, en juin 2022, Christiana Figueres, Yvo de Boer et Michael Zammit Cutajar, tous trois anciens secrétaires exécutifs de la Convention climat. Jusqu'à présent la lutte contre le réchauffement climatique est un échec : non seulement le volume des émissions de gaz à effet de serre ne s'est pas stabilisé, n'a pas baissé, mais il a continué à augmenter fortement au cours de la dernière décennie. Cette déroute fait écho à d'autres batailles perdues telles que la lutte contre la pollution des océans, la dégradation des forêts tropicales et l'érosion de la biodiversité. Ces défaites suscitent une escalade de l'indignation dans l'espace médiatique, sur les réseaux sociaux, dans les discours politiques de tous bords et jusque dans les grandes entreprises, y compris les plus polluantes. Alors que les scientifiques préconisent de laisser les ressources fossiles sous terre (si l'on souhaite réellement limiter le réchauffement climatique et en éviter les pires effets), l'industrie du carbone fait pression sur les négociateurs (et les Etats) et multiplie les projets d'expansion (charbon, gaz, pétrole). Déjà nombreux avant la guerre en Ukraine, et à Gaza, ils se sont renforcés et accélérés. Ces chantiers climaticides, qui d'avance nous condamnent à l'aggravation des conditions de vie sur Terre, sont financés par les assureurs et les banques qui hébergent nos comptes, gèrent notre argent, et sans qui de tels projets seraient presque impossibles. Politiques, diplomates et experts, interprétant à leur manière les alertes des scientifiques, se sont un temps imaginés qu'il serait possible, grâce à des politiques incitatives et des discours volontaristes – mais sans attenter à la croissance ni aux modes de vie consuméristes – d'enrayer l'emballement des émissions de gaz à effet de serre et en particulier de CO2. Cet horizon s'est révélé illusoire. Cette course à la production met en péril la poursuite de la vie humaine et rend nécessaire de limiter, voire d'arrêter, la croissance économique, de réduire considérablement la consommation de ressources énergétiques et de limiter les émissions. Ce nouveau paradigme nous impose un retournement étonnant. Il interroge le sens même du politique. La conscience écologique, celle de nos rapports au monde et de ses fractures à réparer, celle d'un monde en partage malgré tout, reste traversée par la guerre et la haine, la mort et la destruction. Entre changer sa vie ou changer le monde, il y a un espace possible qui s'appelle le politique. Dans un contexte de tensions géopolitiques et de « backlash », la conscience globale devient de plus en plus inévitable, mais les réflexes nationaux n'ont pas disparu (bien au contraire). La justice climatique dans ce monde instable et fini peut apporter une correction nécessaire au renversement de perspective qu'opère en nous l'ensemble de relations brisées du climat, de l'environnement et du non-humain. La crise de notre manière de connaître et d'agir dans ce monde, est singulièrement auscultée par une remise en question de la modernité. Des penseurs critiques de la croissance et de la domination sociale, comme René Passet, Bruno Latour, Edgar Morin, André Gorz, Bernard Charbonneau ou Jacques Ellul, réémergent timidement dans le corpus des références et l'actualité éditoriale pour penser le monde qui vient. Pour définir un nouveau sentier commun climatique décarboné (neutralité carbone, sobriété, etc.), il faut passer du nécessaire au normatif. Or, de ce point de vue, il n'y a pas une seule politique correspondant à l'impératif écologique, il y en a deux, entre lesquelles il faut choisir : Un capitalisme qui s'accommode des contraintes écologiques ou une révolution économique, sociale et culturelle qui abolit les contraintes du capitalisme et, par là même, instaure un nouveau rapport des hommes à la collectivité, à leur environnement et à la nature. Le choix politique du maintien du système capitaliste se masque en impératifs techniques, présentés comme une nécessité par des experts scientifiques et imposés de façon réglementaire et autoritaire : les politiques publiques se traduisent alors, par « des interdictions, réglementations administratives, taxations, subventions et pénalités ». Dans ce cas, les limites matérielles du capitalisme ne disparaissent pas, elles sont seulement déplacées : les activités polluantes sont transférées dans des pays pauvres, et le capitalisme investit dans des activités considérées comme immatérielles et qui échappaient jusque-là à la sphère marchande. Sans doute la crise écologique actuelle, avec la raréfaction des ressources naturelles, les augmentations de prix, l'aggravation de la concurrence, représente une nouvelle crise pour le capitalisme, mais il en a connu d'autres. C'est la reproduction même du capitalisme qui est en cause et, il est incapable d'y faire face. Il accentue sa dictature et renforce la répression. Seul, un changement global : une autre économie (décarbonée), d'autres rapports sociaux, d'autres modes et moyens de production peuvent nous aider à sortir de façon civilisée du capitalisme. Un capitalisme décroissant est un oxymore: Le monde dont on hérite et le monde qui vient Une croissance infinie sur une planète finie est impossible, le capitalisme met en jeu la survie de l'humanité. Il ne suffit pas, de faire moins en espérant que ce sera mieux. Il faut faire autrement. Un capitalisme décroissant est incapable de se limiter. Il répond à la crise écologique en étendant son emprise et en renforçant sa domination répressive et centralisée. Quelles seront les voies de transformation ? D'ici vingt ou trente ans, le temps, ce qui se profile pourrait bien en être « une révolution numérique, énergétique et industrielle » – parfois bruyante, parfois à bas bruit, toujours contrariée, avec des reculs, des rejets, portée par un capitalisme prédateur et qui le reconfigure et accentue la concurrence et la rivalité entre nations. La difficulté est de montrer en quoi la transition décarbonée a une épaisseur en soulevant le couvercle de ce nouveau capitalisme. Et comment le qualifier ? Michel Damian propose de le nommer « capitalisme climatique », une idéologie, un mode de vie et une culture, avec une grande variété de ses formes institutionnelles, politiques et économiques. Par « capitalisme climatique » Michel Damian entend : « une reconfiguration des structures productives, aussi bien des technologies, des institutions que des comportements, qui inscrirait le changement climatique comme une dimension nouvelle de la production de valeur et de l'accumulation du capital, c'est-à-dire de la recherche de profit et de l'investissement. ». L'économie entre dans le climat. Une révolution énergétique et industrielle est engagée, elle prendra des décennies. Elle est partie pour transformer le capitalisme, les relations entre grandes puissances, et façonner notre futur bien au-delà de la seule question du climat. Le télescopage entre le climat, la géopolitique et la géoéconomie, c'est- à-dire les relations politiques et économiques entre puissances, est ancien. Il apparait dès l'entame des négociations. On ne parlait pas encore d'« Occident collectif » en butte au « Sud global », mais ça en était l'amorce. Le capitalisme est sorti de la Conférence de Paris potentiellement régénéré par les investissements engagés pour la transition énergie-climat. D'ici une génération, ce capitalisme, que Michel Damian qualifié de « climatique », sera consolidé. Le modèle « capitaliste climatique chinois » n'est pas le décalque du modèle « capitaliste climatique américain ». Le « capitalisme climatique » chinois, premier émetteur de gaz à effet de serre et premier consommateur mondial de charbon, fait la course en tête pour la décarbonation et la transition écologique. La Chine est devenue, avec l'appui des pays du Sud, le leader climat, sans aucun doute par son poids matériel dans notre futur carboné, mais surtout comme une des forces motrices de la transition énergétique, avec certainement un nouvel ordre entre puissances. Le climat, c'est de l'économie, avec des passions qui s'exacerbent, une volonté de revanche des pays du Sud, et une concurrence acharnée, notablement entre les capitalismes américain et chinois. Des luttes réactivées entre nations, et des guerres meurtrières, auront un impact sur le multilatéralisme climatique. Elles en compliquent déjà la fragile diplomatie. Les préoccupations et ambitions de réduction des émissions de gaz à effet de serre pourraient descendre de plusieurs crans dans l'agenda international. Le monde sera plus carboné, avec une augmentation des émissions et de la teneur en CO2 de l'atmosphère ; il sera aussi inévitablement plus chaud. L'adaptation au changement climatique des sociétés, dans leur extrême diversité, est déjà notre présent. Nous entrons dans un second temps de la diplomatie et de la gouvernance climat, où il va s'agir d'aller au-delà des seules stratégies de réduction des émissions. On s'est un temps imaginé pouvoir « sauver le climat » a minima stabiliser les concentrations de gaz à effet de serre dans l'atmosphère à leur niveau actuel , c'est devenu hors d'atteinte. Nous sommes confrontés à un tournant des politiques climatiques. Et le réalisme, ou plutôt la lucidité – qui n'est ni doute sceptique, ni résignation –, est un moment déstabilisant. Le rapprochement des catastrophes climatiques et les guerres (en Europe, à Gaza et au Proche-Orient), auraient dû nous apporter une conscience accrue des relations humaines ou non humaines à l'échelle de la planète. Il n'en est rien, en apparence du moins. À travers le projet de Donald Trump, de « dynamiser le monde et le transformer en zone florissante au profit de la souveraineté entrepreneuriale », ressurgit la pensée de l'économiste Hans-Hermann Hoppe, l'un des théoriciens du libertarianisme autoritaire que le techno fascisme le remet sur le devant de la scène internationale. (Olivier Tesquet, 2025). Chez Hans-Hermann Hoppe, il s'agit de réconcilier le marché absolu avec l'ordre moral. Au cœur de cette filiation : « la conviction que seuls quelques individus – rationnels, entrepreneurs – perçoivent la complexité du monde et peuvent donc en revendiquer la souveraineté. » Son ouvrage clé, Democracy, the God that Failed, publié en 2001, résume sa pensée : la démocratie n'est pas un idéal, mais une anomalie, (..). le suffrage universel (?) un péché de la modernité et de l'égalitarisme, (..) une aberration qui confie les décisions à ceux qui n'en supportent pas les coûts. Pour Olivier Pesquet, on retrouve sous la plume de Hans-Hermann Hoppe, « les fondations théoriques » de la fameuse maxime du très influent milliardaire Peter Thiel, selon qui « la démocratie et la liberté ne sont plus compatibles ». Pour Pesquet, le moteur idéologique du techno fascisme est : « un ordre présenté comme naturel, mais administré de manière autoritaire ». Qui contrôle l'infrastructure décide de l'exception. Tous ceux qui ne sont pas compatibles avec le modèle – les étrangers, les démocrates, demain qui d'autre ? sont débarqués, « offboarded » comme on dit dans le monde de la tech au langage stérilisé. Les héritiers de Hans-Hermann Hoppe ne sont pas des réactionnaires au sens classique. Ils ne rêvent pas du retour à un âge d'or, mais d'un nouvel ordre social technique et économique. Comme l'a parfaitement décrit l'historien canadien Quinn Slobodian, : « les théoriciens du néolibéralisme n'ont jamais cherché à libérer le marché, seulement à le protéger (…). Ils ont construit autour de lui des enceintes juridiques et territoriales, des zones géographiques immunisées contre les pressions démocratiques. ». La Silicon Valley ne fait que pousser cette logique jusqu'à sa conclusion : « le code devient la clôture du monde ». La gouvernance mondiale du climat est « une guerre menée par les chinois contre les intérêts économiques des américains ». La paix devient « une licence d'exploitation, voire un produit dérivé ». Trump en a même fait des casquettes. Sous couvert de réconciliation, il esquisse « le modèle d'un monde administré comme un portefeuille d'actifs, où la reconstruction politique devient un business et la diplomatie, une stratégie de capital-risque. » Samir Allal Université de Versailles/Paris-Saclay 1. Samir Allal : COP 30 : un lieu de rivalité et de collaboration (Leaders.tn 09/11/2025) 2. Samir Allal : Mieux comprendre les enjeux climatiques pour naviguer dans la complexité du monde (Leders.tn 21/07/2025)