Le 9 juin 2025, la « caravane Al Soumoud » s'élançait de Tunis, drapeau palestinien en tête, direction Gaza. Un spectacle émouvant, chargé d'histoire et de mémoire. En 1948, mon père, paix à son âme, alors âgé de 19 ans, avait lui aussi rejoint une caravane de jeunes scouts tunisiens désireux de combattre en Palestine aux côtés des armées arabes. Arrêtés en Libye, ils furent renvoyés sans avoir franchi les lignes. Soixante-quinze ans plus tard, l'histoire se répète, mais sous une forme tout autant symbolique – et malheureusement, toujours aussi impuissante. Cette caravane n'est pas un folklore La caravane actuelle prétend briser le blocus israélien, mais n'achemine ni médicaments, ni nourriture, ni secours. Il ne s'agit que d'un acte symbolique – certes noble – mais profondément limité. Elle témoigne surtout de l'abîme entre la vitalité des peuples arabes et l'inaction tragique de leurs gouvernants. Cette caravane n'est pas un folklore. C'est une expression sincère de solidarité populaire, une réponse morale à l'indignité des gouvernements arabes qui détournent le regard. Elle rappelle que la cause palestinienne n'a pas disparu du cœur des peuples arabes, malgré la vague de normalisation et la marginalisation orchestrée par les puissances dominantes. Tunis, fidèle à son histoire de soutien à la Palestine, envoie ici un signal fort. Ce mouvement populaire s'inscrit dans une dynamique mondiale de solidarité : manifestations de masse, sit-in dans les campus, appels croissants au boycott. L'opinion publique, dans les pays arabes comme en Occident, se transforme en force de pression. Mais cette force restera sans effet tant qu'elle ne sera pas traduite en actes. Depuis la Nakba de 1948, chaque génération a vu naître des espoirs… vite déçus. Nasser a incarné la fierté panarabe avant d'être écrasé par la défaite (la Naksa) de 1967. Saddam Hussein, comme tous les dictateurs arabes, s'est autoproclamé défenseur de la Palestine avant de trahir sa cause en envahissant le Koweït. Arafat a internationalisé la question, sans jamais obtenir de paix juste. Les peuples détiennent la clé du changement À chaque fois, les dirigeants arabes ont brandi l'étendard de la Palestine pour mieux opprimer leurs peuples. À chaque fois, les mots n'ont pas été traduits en actes. La caravane Al Soumoud, malgré la sincérité de ses marcheurs, risque, elle aussi, de n'être qu'un nouvel épisode de cette tragédie cyclique : un moment de ferveur populaire suivi d'un retour à l'impuissance. Tandis que Gaza meurt de faim – qualifiée par l'ONU d'« endroit le plus affamé au monde » – les régimes arabes se contentent de conférences, de communiqués et de slogans. Aucun n'ose défier Israël ni rompre franchement avec la logique d'allégeance à Washington. Aucun pays arabe parmi les signataires des honteux accords d'Abraham n'a rompu ni gelé ses relations avec l'entité sioniste. Les sommets arabes s'enchaînent, les résolutions s'empilent, et les enfants de Gaza continuent de tomber. Cette inertie n'est pas seulement une faiblesse : c'est une stratégie. Une manière de pérenniser des régimes installés sur la peur, la corruption et la soumission. L'arabisme politique s'est fossilisé dans un verbiage creux, sans audace ni courage. La bravoure des marcheurs est admirable. Mais leur marche ne libérera ni Gaza, ni la Palestine. Il est temps de le dire franchement : seule une action politique cohérente, audacieuse, collective pourra renverser l'ordre injuste établi. Ce ne sont pas les caravanes mais les peuples qui détiennent la clé du changement. La colère gronde dans les rues du Caire, de Rabat, d'Alger, de Tunis, mais elle est muselée, sous-estimée, contenue. Pourtant, l'espoir renaît ailleurs : dans les universités américaines en lutte, dans les appels au boycott, dans la société civile mondiale qui refuse l'indifférence. Il est temps que les peuples arabes saisissent cette vague. Il est temps d'arracher leur destin aux mains des putschistes et autres potentats locaux à la tête de régimes corrompus, paralysés. Il est temps de rompre avec les illusions et d'oser la vérité. Ce qui se joue à Gaza dépasse Gaza. C'est une bataille pour la justice, la liberté et la dignité humaine.