Cette semaine, le mot nous vient de Guillemette Faure qui, dans une chronique publiée chez nos confrères du Monde, évoque ce « sentiment d'appréhension qui envahit les vacanciers à la veille d'un départ ». Elle donne à ce mélange doux-amer le drôle de nom de « vacanxiété ». Ce mot-valise résume à merveille la tension entre l'excitation des valises qu'on boucle et l'angoisse de devoir affronter les embouteillages, le budget en lambeaux, le conjoint irritable, l'ado blasé ou – pire encore – la belle-mère intarissable. Nous sommes en plein mois de juillet. Les températures sont caniculaires, plus suffocantes chaque jour. Un record au-dessus des records, comme si le réchauffement climatique s'était mis en tête de nous offrir chaque année une version plus intense du four solaire. « Cette année aura enregistré un record de chaleur », nous dit-on… jusqu'à ce qu'elle cède le podium à celle de l'année suivante. Pendant ce temps, les Tunisiens transpirent dans des transports inexistants, manifestent pour une vie plus digne, étouffent dans des administrations où les climatiseurs sont aussi fatigués que les fonctionnaires. Une poignée de chanceux – une minorité très visible – prépare pourtant ses valises pour l'été. Ces congés « si chèrement mérités », souvent extorqués à un patron convaincu que « la boîte ne peut pas tourner sans toi », viennent alourdir un budget déjà laminé par une année scolaire exténuante, un Aïd gourmand et des factures qui s'allongent comme le bras d'un fonctionnaire au guichet. Comment ne pas être anxieux à l'idée de ces quelques jours qu'on sacralise ? De ces vacances qu'on investit d'une mission quasi mystique : effacer le stress, l'usure, les absurdités accumulés en douze mois. Oublier les affaires de complot, les discours présidentiels à minuit, le prix du mouton, les examens expédiés, les coupures d'électricité et les chauffards du matin. Une ou deux semaines sur lesquelles on projette tous ses espoirs de repos, de calme et de « reconnexion ». Un maillot qui doit absolument nous aller. Un pot de crème solaire à vider. Et plus la promesse est grande… plus la déception l'est aussi.
La bulle climatisée des privilégiés Dans les grandes villes côtières, hôtels, restaurants, piscines privées, boîtes de nuit, bars et locations affichent complet. Toujours. Faites un détour par Sousse ou Hammamet un samedi soir, et les files interminables devant les lounges branchés vous feraient presque douter de l'existence d'une crise économique. Des fake news, sûrement, propagées par des esprits malintentionnés « qui agissent, tapis dans l'ombre ». Les voitures rivalisent de luxe, les femmes rivalisent d'élégance sur Instagram, et leurs compagnons arborent polo griffé, montre clinquante et mâchoire crispée. Mais derrière ces apparences se cache une petite caste dorée, confinée dans sa bulle climatisée. Celle qui peut se permettre d'être snobée par un portier tout-puissant, de manger tiède un plat trop cher, servi par un serveur débordé, grincheux et distrait – qui oubliera la moitié de la commande mais n'oubliera jamais l'addition. Celle qui connaît par cœur le classique : « Tu as pensé à faire une réservation, sahbi ? » alors que le restaurant est à moitié vide. Celle pour qui il faut glisser un pourboire faramineux dans la main d'un mafi-serveur pour obtenir une table apparue comme par magie. Car oui, la Tunisie est cette terre de paradoxes, où l'alcool coule à flots, où les DJ balancent des sets dignes d'Ibiza ou de Bali, où les lumières brillent fort, mais où le service peine encore à atteindre le minimum syndical. Le touriste, ici, a souvent droit à un service d'un autre temps, une animation recyclée, une piscine qui n'a pas connu le chlore depuis deux jours, et un éternel « aramzamzam » en guise d'ambiance musicale. Pire encore si vous êtes un Tunisien, client dans un établissement tunisien, payé en dinars tunisiens, servi par un serveur tunisien… Vous partez avec un triple handicap.
Réinventer le tourisme ou continuer à servir du tiède Pendant ce temps, le voisin marocain, énervant mais visionnaire, a su réinventer son tourisme : expériences variées, infrastructures modernisées et services haut de gamme. Pendant qu'on vend encore des bracelets "all inclusive" et des excursions en dromadaire dépressif, Marrakech et Essaouira offrent des séjours wellness, de l'art contemporain, de la gastronomie innovante, et des écolodges nichés dans l'Atlas. Et parce qu'on n'est jamais à court d'idées lumineuses, un appel « urgent » a été lancé pour qu'une loi oblige les hôtels à réserver 30% de leur capacité aux familles à faible revenu. Une initiative sociale complètement déconnectée de la réalité. Comme si le tourisme, déjà à l'agonie, allait se refaire une santé à coups de quotas et de bons sentiments législatifs. Offrir des vacances aux plus modestes, excellente idée sur le papier. Mais pas en forçant les hôteliers à plonger avec tout le navire.
Le tourisme d'aujourd'hui ne se contente plus de soleil, de plages...surtout si elles sont jonchées de méduses. Il demande du sens, de l'authenticité, du confort, et surtout du respect pour le client. Il attend qu'on le traite comme un voyageur, pas comme un portefeuille sur pattes. Et cela vaut aussi pour les touristes locaux. Alors à toutes celles et ceux qui transpirent déjà à l'idée de faire leurs valises, et qui redoutent de devoir une fois de plus affronter le mauvais service, l'incivisme et les arnaques organisées, sachez-le : la vacanxiété n'est pas un caprice de privilégiés. C'est le reflet d'un pays qui épuise ses citoyens toute l'année, pour ensuite leur offrir, en guise de répit, un piège à touristes à peine dépoussiéré. Mais ne vous en faites pas : le DJ est excellent. Et la facture, elle, arrivera toujours à temps.