Le dernier rapport semestriel du site spécialisé Mubawab confirme une tendance inquiétante : les prix poursuivent leur hausse, l'offre progresse, mais la demande recule. Ce déséquilibre nourrit l'illusion d'un marché actif alors que les acheteurs se font de plus en plus rares. L'immobilier tunisien poursuit son décalage avec la réalité économique. Le premier semestre 2025 confirme les dérèglements profonds du marché immobilier tunisien. Selon le dernier Guide Mubawab, les prix moyens au m² ont augmenté de 4 % par rapport à la même période en 2024, mais ont connu une hausse encore plus marquée de 7 % par rapport au second semestre 2024. Autrement dit, l'essentiel de l'augmentation s'est concentré sur les six derniers mois, traduisant une tension plus récente sur les prix. Pendant ce temps, la demande globale recule de 1 %, et l'offre progresse de 3 % sur un an. Ces chiffres résument à eux seuls un paradoxe devenu structurel : un marché de l'immobilier qui grossit… sans acheteurs. Cette dynamique haussière des prix ne traduit pas une embellie économique. Elle résulte d'un effet d'inertie, alimenté par la spéculation et par la nécessité pour les promoteurs de couvrir des coûts de production toujours plus élevés. Mais en parallèle, la frilosité des acquéreurs s'accentue, sous l'effet conjugué d'un pouvoir d'achat en berne, de taux d'intérêt dissuasifs et d'un climat économique incertain.
L'ancien toujours dominant, le neuf en hausse… mais invendu L'offre d'appartements reste majoritairement composée de biens anciens (68 %), contre 32 % pour le neuf. Pourtant, ce sont les appartements neufs qui tirent les prix vers le haut : +2 % en six mois, +5 % sur un an. Ce décalage s'explique en partie par la multiplication des projets lancés ces dernières années, mais toujours en attente d'acquéreurs. À surface équivalente, les écarts de prix entre ancien et neuf peuvent atteindre jusqu'à 1 000 dinars/m² dans certaines zones du Grand Tunis, comme à Aïn Zaghouan Nord (4540 DT/m² en ancien, 5460 DT/m² en neuf) ou El Aouina (3850 DT contre 4410 DT). Dans ces quartiers, les prix s'envolent malgré une demande stagnante.
Des préférences claires, un marché figé L'étude de Mubawab révèle une certaine adéquation entre l'offre et la demande : les S+2 (41 % de l'offre / 43 % de la demande) et les S+3 (32 % / 28 %) dominent largement. De même, la fourchette des 90 à 130 m² représente 37 % des biens disponibles et 37 % de la demande. Mais cette convergence n'a pas suffi à relancer les ventes. La demande reste volatile, avec un recul notable entre janvier (18 %) et mars (14 %), un petit sursaut en avril (19 %), puis une rechute à 14 % en juin. Cette instabilité traduit la méfiance des acheteurs face à un marché qui refuse de s'ajuster.
Les zones les plus chères… et les plus convoitées Certaines zones urbaines confirment leur attractivité malgré les prix élevés. La Marsa concentre à elle seule 20 % des recherches, devant Ariana Ville (11,9 %), Hammamet (9 %), La Soukra (9 %) et Le Kram (5,4 %). Côté quartiers, Aïn Zaghouan Nord, El Aouina et les Jardins de Carthage arrivent en tête.
Dans ces zones très demandées, les prix poursuivent leur ascension : Jardins de Carthage : 5460 DT/m² (neuf) – +7 % Cité Ennasr 2 : 3690 DT/m² (neuf) – +3 % El Menzah 9C : 3700 DT/m² (neuf) – +7 % Les Berges du Lac 2 : 4980 DT/m² (ancien) – +7 % La Marsa : 4740 DT/m² (neuf) – +4 % Chotrana 1 : 3640 DT/m² (neuf) – +3 % La Manouba : 2860 DT/m² (neuf) – +5 %
Les hausses les plus spectaculaires sont enregistrées à Riadh El Andalous (+18 % en neuf ; +6% en ancien), Hergla (+15 % en ancien, +9 % en neuf) et El Menzah 9C (+7 % en neuf), tandis que certaines zones comme Mourouj 6 stagnent autour de 4-5%, alors que Kélibia enregistre une hausse plus modérée de +5 % en ancien et 0% en neuf. Chotrana 1, souvent citée comme zone dynamique, ne progresse que de +5 % en ancien et 3% en neuf.
L'indice Mubawab : une progression en trompe-l'œil L'indice des prix de Mubawab (IPM) est passé de 121 à 123 au T1 2025, enregistrant une hausse annuelle de +11 %. Mais cette progression a été immédiatement corrigée au T2, avec un recul à 120. Une dynamique qui confirme un marché sous tension, sans réel moteur de croissance. Derrière les chiffres flatteurs de prix en hausse, le diagnostic reste le même : le marché est en panne. La demande diminue, les stocks d'invendus s'accumulent, les transactions stagnent. Rien ne semble annoncer un redémarrage rapide. Les promoteurs maintiennent artificiellement les prix, espérant un rebond hypothétique, tandis que les Tunisiens hésitent, voire renoncent à acheter. Le secteur de l'immobilier, censé être l'un des piliers de la relance, devient un poids mort pour l'économie. Sans intervention publique courageuse – réformes foncières, incitations fiscales, accès facilité au crédit –, la spirale risque de se prolonger… au détriment des jeunes, des classes moyennes et de l'équilibre social tout entier.
Maya Bouallégui
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