Le secteur immobilier tunisien traverse une crise sans précédent. En 2024, les ventes ont chuté drastiquement, les prix de l'immobilier ont évolué à un rythme inférieur à l'inflation, et les sociétés immobilières cotées en bourse ont enregistré des pertes abyssales. L'adage dit quand l'immobilier va, tout va. À la lecture de la situation des sociétés immobilières cotées en bourse et quand on voit l'argus des prix par régions, on remarque clairement que l'année 2024 a été dramatique pour le secteur. Ce ne sont pas des impressions, ce sont les chiffres qui parlent. Les trois sociétés, réputées être parmi les meilleures du marché immobilier tunisien, ont vu leur chiffre d'affaires baisser en 2024. Le chiffre d'affaires de Sits a baissé de 33,46%. Celui d'Essoukna a baissé de 94,58%. Celui de Simpar, réputée être la meilleure société immobilière cotée en bourse, a chuté de 65,3%. Chacune de ces sociétés donne des explications plus ou moins convaincantes sur les raisons de ces chutes des revenus, mais le fait est que l'immobilier tunisien est en crise. Si les meilleures entreprises du marché ont de tels chiffres, que dire des autres qui ne sont pas cotées en bourse ? Justement, pour connaitre les autres, nous sommes allés voir les chiffres du site spécialisé Mubawab qui suit de près l'évolution des prix par région. Ses analyses sont sérieuses et ses chiffres sont précis. Ce que l'on remarque à travers ces chiffres, c'est que les évolutions des prix en général sont majoritairement inférieures à celle de l'inflation. Pire, il y a des régions, comme Borj Cedria, banlieue de Tunis, où les prix ont carrément baissé. En d'autres termes, si l'évolution des prix est inférieure à l'inflation, c'est que la valeur totale du bien immobilier a baissé. Cela touche aussi bien les quartiers modestes que les quartiers huppés.
Effondrement du chiffre d'affaires des principales sociétés immobilières L'année 2024 a été particulièrement rude pour les sociétés immobilières tunisiennes. Les trois entreprises cotées à la Bourse de Tunis – Sits, Simpar et Essoukna – ont toutes vu leur chiffre d'affaires chuter de manière spectaculaire. Sits : son chiffre d'affaires annuel a reculé de 33,46%, passant de 7,53 millions de dinars fin 2023 à 5,01 millions de dinars fin 2024. Pire encore, son chiffre d'affaires trimestriel s'est effondré de 90,5%. Essoukna : la chute est encore plus vertigineuse avec une baisse de 94,58% de son chiffre d'affaires, qui est passé de 6,62 millions de dinars en 2023 à seulement 358.544 dinars en 2024. Simpar : la société a enregistré un recul de 65,3%, avec des revenus passant de 11,91 millions de dinars en 2023 à 4,13 millions de dinars en 2024.
Simpar, considérée comme l'une des meilleures sociétés immobilières de Tunisie, n'a pas échappé à la crise. La société a connu l'une des chutes les plus significatives du secteur. En 2023, Simpar avait généré 11,91 millions de dinars, mais ce chiffre a drastiquement chuté à 4,13 millions de dinars en 2024. Cette baisse s'explique principalement par plusieurs facteurs notamment le retard dans l'achèvement de ses projets majeurs, notamment aux Jardins de Carthage, à Raoued et à Choutrana I (La Soukra). La société estime que ces projets généreront un chiffre d'affaires futur combiné de 87 millions de dinars une fois finalisés.
Un marché où les prix augmentent moins vite que l'inflation Cette chute des chiffres des sociétés immobilières cotées en bourse s'explique par une baisse de la demande immobilière, en raison d'un pouvoir d'achat réduit et de taux d'intérêt élevés rendant l'accès au crédit plus difficile. Il existe un déséquilibre entre l'offre et la demande, aggravé par une réticence des acheteurs à investir dans un marché en crise. Au-delà des difficultés des promoteurs immobiliers, les prix de l'immobilier stagnent ou baissent dans certaines régions. En 2024, l'inflation en Tunisie s'est établie à 7%, or l'évolution des prix de l'immobilier reste inférieure à ce seuil, entraînant une perte de valeur des biens immobiliers. Voici quelques évolutions des prix par région telles fournies par Mubawab : Gammarth : +6,14% Jardins de Carthage (où le prix au m² est le plus élevé du pays à 2921 dinars/m²) : +4,14% Raoued : +1,38% Sahloul 4 (Sousse) : +7,41% Hergla : +0,25% Yasmine Hammamet : +4,62% Bizerte Nord : +1,19% Borj Cedria : baisse des prix de 5,86%. Dans certaines régions, comme Borj Cedria, la baisse des prix est notable. À Hergla, l'augmentation est quasi inexistante (+0,25%). Même dans les quartiers huppés, l'évolution des prix reste inférieure à l'inflation, signifiant une perte de valeur en termes réels.
Analyse du marché foncier : un déséquilibre entre offre et demande L'étude publiée par Mubawab Tunisie dans son Guide Foncier 2024 met en évidence un marché déséquilibré, où l'offre de terrains est relativement stable tandis que la demande fluctue fortement. 53% de la demande immobilière sur Mubawab.tn concerne l'achat de biens, dont 16% pour des terrains. L'offre de terrains représente 12% du total des annonces. Les tendances observées entre janvier et novembre 2024 montrent : Une baisse de la demande en début d'année, suivie d'un pic estival, puis d'une légère diminution au troisième trimestre et d'une reprise modérée en fin d'année. Une offre relativement stable, avec une légère baisse au premier semestre et une reprise progressive ensuite.
Pourquoi l'immobilier tunisien est en crise ? Le secteur immobilier tunisien traverse une tempête économique sans précédent, marquée par une conjoncture défavorable qui fragilise l'ensemble du marché. L'instabilité économique générale, combinée à une inflation persistante et une croissance en berne, a directement impacté le pouvoir d'achat des ménages, les poussant à reporter leurs projets d'investissement. L'accès au financement constitue également un frein majeur. Avec des taux d'intérêt en constante augmentation, les crédits immobiliers sont devenus plus coûteux et moins accessibles, réduisant ainsi le nombre de transactions et accentuant le ralentissement du marché. Cette frilosité des acheteurs a entraîné un déséquilibre marqué entre l'offre et la demande : alors que de nombreux projets immobiliers ont été lancés ces dernières années, les acquéreurs potentiels se font de plus en plus rares, aggravant la situation des promoteurs qui peinent à écouler leurs stocks.
Par ailleurs, l'absence de mesures gouvernementales efficaces pour soutenir le secteur immobilier a contribué à cette crise. Sans politiques publiques incitatives, ni allégements fiscaux ou réformes facilitant l'accès à la propriété, le marché est livré à lui-même dans un contexte déjà complexe. De nombreux promoteurs immobiliers se retrouvent ainsi avec des stocks d'invendus qui s'accumulent, tandis que la spéculation et la hausse des coûts de construction rendent l'investissement de plus en plus risqué. Dans ce contexte, la crise immobilière tunisienne s'inscrit dans un cercle vicieux : une demande en berne, une offre qui peine à s'adapter, et des acteurs du secteur qui naviguent à vue, espérant un rebond qui tarde à se concrétiser.
Un avenir incertain pour le marché immobilier Face à cette crise, plusieurs questions se posent. Le marché immobilier tunisien peut-il rebondir en 2025 ? Plusieurs éléments pourraient jouer en faveur d'un redressement, notamment l'achèvement de grands projets immobiliers à El Menzah 9, Jardins de Carthage, Raoued et Choutrana I (La Soukra). Toutefois, la conjoncture économique reste difficile, avec un pouvoir d'achat en berne, des taux d'intérêt élevés et une demande incertaine. Les professionnels du secteur espèrent que les nouvelles politiques publiques, notamment celles liées au logement social et aux incitations fiscales, pourront redynamiser un marché en perte de vitesse. En attendant, les acheteurs semblent privilégier l'attentisme, tandis que les promoteurs peinent à écouler leurs stocks, dans un marché marqué par une offre stable mais une demande en dents de scie.