Le président de la République, Kaïs Saïed, a reçu, vendredi 8 août, la cheffe du gouvernement, Sarra Zaafrani Zenzri. D'après un communiqué de Carthage publié à 4 h du matin, la rencontre a porté « sur plusieurs événements qui se succèdent ces derniers jours et dont tous les indices montrent qu'ils ne sont pas naturels, mais planifiés dans le but d'attiser les tensions et de malmener les citoyens et citoyennes ». C'est la deuxième fois en 48 heures que le président convoque sa Première ministre. Une vidéo de la rencontre a été diffusée sur la page officielle de la présidence, où Kaïs Saïed a essentiellement monologué à propos des événements survenus jeudi devant le siège de l'UGTT, face à une Sarra Zaafrani Zenzri absorbée et mutique.
Au début de l'entretien, on le voit muni d'un numéro du journal Echaâb (l'organe de presse de l'UGTT) datant du 13 janvier 1978. Le choix de l'article Le Carnaval du journaliste Mohamed Galbi et de la date — quelques jours avant le 26 janvier 1978 — n'est pas anodin. Le président a estimé que si le journaliste était vivant aujourd'hui, il aurait rédigé son article dans le sens inverse : non pas pour critiquer le pouvoir, mais la centrale syndicale. Partant de ce texte, Kaïs Saïed a parlé d'hypocrisie et d'un peuple conscient de ce qui se passe réellement. « Ceux qui ont suivi les protestations d'hier (jeudi) n'ont-ils pas vu que les forces de l'ordre avaient protégé le siège de l'UGTT et évité toute confrontation ? ». Ainsi, le président a établi un parallèle entre 1978 et 2025 pour prouver que la situation était différente et que le pouvoir n'avait pas attaqué la centrale syndicale, mais l'avait protégée. Il a poursuivi en assurant que « les protestataires n'avaient l'intention ni d'agresser ni de s'introduire dans le bâtiment, comme le prétendent les mauvaises langues. Malgré cela, certains ont voulu comparer la manifestation à ce qui s'est passé en 2012 : le jet d'ordures sur la place et l'agression physique de syndicalistes. Les images sont disponibles. Alors, ces gens-là ne sont-ils pas conscients que le peuple n'est pas dupe ? ». Pour le président de la République, la concomitance de certains événements ces derniers temps n'est pas fortuite : « Ce matin, des canalisations de distribution d'eau ont été vandalisées ! ».
Revenant à la charge, M. Saïed a évoqué Mohamed Ali El Hammi, considéré comme le père du syndicalisme. Il a affirmé que l'organisation avait omis de célébrer sa mémoire. Il a rappelé qu'El Hammi tenait ses réunions dans des lieux modestes et qu'à cette époque, il n'y avait pas de prélèvements (en référence aux actuelles cotisations syndicales). « Il y avait une véritable action syndicale et patriotique. Les réunions ne se tenaient pas dans des hôtels étoilés ! ». La pique est limpide. Par ailleurs, le président a exposé ses réalisations pour préserver les droits des travailleurs ainsi que ceux des chômeurs de longue date. « Ces actions sont plus fortes que celles des autres et il y a des dossiers qui doivent être ouverts, parce que le peuple demande la reddition des comptes. Il a la légitimité de la réclamer afin que son argent lui soit restitué ! Le travail est en cours pour trouver des solutions nationales à tous les secteurs, pour une nouvelle édification et pour construire un édifice solide face aux corrompus et aux corrupteurs ! ». Par la suite, Kaïs Saïed a cité Tahar Haddad en parlant de légitimité mensongère et de légalité. « Que les menteurs continuent leurs mensonges, nous passons outre en méprisant leur creuse cacophonie, jusqu'à ce que la vérité soit révélée ». Il a poursuivi en adoptant le sens de ses paroles, pour dire qu'il est honnête et qu'il œuvre au service de l'humain.
Le chef de l'Etat a également rappelé les événements de janvier 1984. Il a évoqué son camarade de classe Fadhel Sassi et le fait qu'il se trouvait à quelques mètres de lui lorsqu'il a été assassiné. « Son cœur battait à gauche, contrairement à ceux qui font semblant que leur cœur bat à gauche aussi, mais dont les portefeuilles sont à droite. Le peuple en est conscient et est déterminé à aller de l'avant malgré tous les mensonges ». Kaïs Saïed a ajouté que certains de ces menteurs se trouvent à l'étranger et d'autres en Tunisie, mais se jettent dans les bras des ambassades. « Celui qui les rencontre à l'étranger ne le fait qu'après avoir fini de s'amuser avec ses chiens… car ils ne valent pas plus que les lacets de ses chaussures… ». Dans la foulée, le président a annoncé qu'il n'y aurait pas d'immunité pour quiconque aurait violé la loi. « La loi s'applique à tous et il est inacceptable de laisser quiconque porter atteinte au peuple. Qu'ils se rappellent les lois et les décrets au profit des travailleurs. Pourquoi n'en parlent-ils pas lors des festins organisés dans les restaurants et hôtels de luxe ?! Le peuple connaît la vérité et, tant qu'il a cette volonté, les complots et les manœuvres de déstabilisation se briseront contre ce mur solide. L'Etat tunisien restera debout et le peuple a choisi la liberté et la dignité. Sa volonté se réalisera à travers nos efforts. Nous voulons des solutions qui rompent avec le passé. Nous ressentons la douleur du peuple et nous œuvrons pour faire en sorte que ses espoirs se réalisent ». Pour conclure son monologue, le président de la République a cité Farhat Hached pour souligner qu'il s'élève contre toutes les formes de répression et d'autoritarisme. Il a enfin promis de toujours être honnête et transparent : « Ne vous comportez pas avec nous comme le loup qui a dévoré l'agneau », a-t-il asséné.
Au final, le message présidentiel ne laisse guère de place au doute : il vise directement la centrale syndicale, accusant ses dirigeants d'hypocrisie et de mensonge. Derrière le flot de références historiques et les piques à peine déguisées, se profile une menace à peine voilée, rappelant que nul — pas même l'UGTT — ne serait à l'abri si le pouvoir estime qu'il a franchi la ligne rouge.