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L'INAI mise à mort : la Tunisie enterre ses garde-fous
Publié dans Business News le 20 - 08 - 2025

Sans communiqué, sans explication, l'Instance nationale d'accès à l'information (INAI) a fermé ses portes. Un geste en catimini qui illustre l'opacité du régime et confirme le démantèlement progressif des contre-pouvoirs. L'instance, pourtant inscrite dans la Constitution et jadis louée par Kaïs Saïed, disparaît dans le silence.

L'INAI n'était pas un simple bureau administratif. Créée par la loi organique n°22 de 2016 et mise en place en 2017, elle incarnait l'un des acquis majeurs de la révolution : garantir aux citoyens un droit fondamental, celui d'accéder à l'information publique. Ses neuf membres, élus par l'Assemblée des représentants du peuple et nommés par décret, représentaient la diversité des corps concernés : juges, avocats, enseignants, journalistes, statisticiens et représentants de la société civile.
Mais la machine s'est grippée. Après le départ de son premier président, Imed Hazgui, nommé ministre de la Défense en 2020, l'INAI n'a jamais retrouvé sa stabilité. Son successeur, Adnen Lassoued, avait lui-même tiré la sonnette d'alarme en juin 2023, appelant Brahim Bouderbala à renouveler d'urgence la composition de l'instance. Avertissement ignoré. En mai 2024, par simple décret, le pouvoir acte le départ du vice-président et président par intérim ce qui prive le conseil de quorum. Depuis, la structure était en mort clinique, dirigée sans titre officiel par Naïma Dhibi, chargée des affaires administratives et financière. La fermeture cette semaine n'est que l'achèvement d'un long processus de mise à mort.

Une violation constitutionnelle flagrante
La fermeture de l'INAI n'est pas seulement un fait administratif, c'est une atteinte directe à la Constitution de 2022 rédigée par Kaïs Saïed lui-même. Trois articles centraux sont balayés d'un revers de main.
L'article 37 garantit les libertés d'opinion, d'expression, d'information et de publication. La Constitution va même plus loin : aucun contrôle préalable ne peut être exercé sur ces libertés. Fermer l'instance censée protéger le droit d'accès à l'information revient à museler un droit qui, sur le papier, est intangible.
L'article 38 inscrit noir sur blanc le droit d'accès à l'information, au même titre que d'autres droits fondamentaux. Sa suppression de fait, par l'inactivation de l'INAI, prive les citoyens d'un mécanisme indispensable pour demander des comptes à l'administration et suivre l'action publique.
L'article 55, enfin, fixe une ligne rouge claire : aucune restriction ne peut porter atteinte à la substance même des droits et libertés garantis. Les restrictions doivent être prévues par une loi, proportionnées et justifiées par des impératifs de sécurité ou de santé publique. Or, dans le cas présent, aucune loi n'a été invoquée, aucune justification donnée. C'est une restriction pure et simple, illégale, qui vide de leur contenu les droits fondamentaux.
En d'autres termes, la fermeture de l'INAI ne viole pas seulement la lettre, mais aussi l'esprit de la Constitution. Elle prive les citoyens d'un droit humain universellement reconnu, elle prive le Parlement de ses prérogatives de nomination, et elle prive l'Etat de son propre garde-fou. Dans un régime où les pouvoirs présidentiels sont déjà hypertrophiés, c'est une rupture supplémentaire dans l'équilibre fragile entre gouvernés et gouvernants.

Les réactions : colère et ironie
La fermeture de l'INAI n'a pas tardé à susciter une vague de réactions, mêlant indignation, analyses juridiques et ironie amère, venant à la fois des milieux syndicaux, politiques, associatifs et journalistiques.
Jihene Elouati, du Syndicat national des journalistes tunisiens (SNJT), a dénoncé « une mesure politique grave » qui prive le Parlement de ses prérogatives et menace l'équilibre déjà fragile des pouvoirs. Selon elle, la disparition de l'INAI remet en cause l'un des acquis les plus précieux de l'après-2011 : le droit des citoyens à la transparence et au contrôle des institutions de l'Etat. Sa disparition illustre une volonté claire de vider le système politique de ses mécanismes de contrôle.
Le journaliste Fatine Hafsia a choisi un ton plus caustique pour exprimer la même inquiétude. Dans un texte marqué par l'ironie, il a remercié le pouvoir d'avoir « tari les sources des instances », qu'il s'agisse de la Haica, de l'Instance de protection des données personnelles, de l'Instance de lutte contre la corruption ou désormais de l'INAI.
En clair : plus de réforme des médias, plus de contrôle de la corruption, plus de transparence. Et de résumer la logique dans une formule populaire devenue virale : « سألوه في قهوة الحومة : علاش سكروا أغلب الهيئات الدستورية ؟ جاوبهم : تي ساهلة الحكاية، المفاتح الكل عند نفس الجيب » (« On lui a demandé, dans un café du quartier : pourquoi avoir fermé la plupart des instances constitutionnelles ? Il a répondu : l'histoire est simple, toutes les clés sont dans la même poche. »).
Quant à l'ONG I Watch, spécialisée dans la lutte contre la corruption, elle a parlé de « démolition du dernier bastion de la transparence en Tunisie ». L'organisation rappelle que l'INAI a été méthodiquement affaiblie depuis 2020 avant d'être achevée cet été, et accuse le pouvoir de vouloir saboter systématiquement toutes les institutions de transparence. Elle exige sa réouverture immédiate et avertit que la fermeture ne fera qu'accentuer la crise de confiance entre l'Etat et les citoyens.
Dans un communiqué publié, mercredi 20 août 2025, le SNJT a condamné un « déni grave du droit d'accès à l'information » et « une consécration de la politique de l'opacité ». Le syndicat rappelle que l'INAI constituait un outil vital pour les journalistes dans leur combat contre la bureaucratie et le secret, et que sa fermeture ramène la Tunisie au temps de la propagande et du contrôle de l'information. Il appelle le Parlement à pourvoir sans délai les postes vacants et le pouvoir à revenir immédiatement sur cette décision.
Enfin, Hichem Ajbouni, dirigeant du parti d'opposition Attayar, a dressé un tableau sévère d'une « politique qui consiste à tuer le malade au lieu de le soigner ». Selon lui, toutes les institutions gênantes sont méthodiquement démantelées : Parlement dissous par les chars, Conseil supérieur de la magistrature neutralisé, partis diabolisés et réprimés, société civile muselée, médias bâillonnés par le décret 54. L'INAI, conclut-il, n'est qu'une étape de plus dans une stratégie visant à éliminer les contre-pouvoirs et à ramener la Tunisie « au carré du troupeau et des sujets ».

Quand Kaïs Saïed célébrait l'INAI… avant de la renier
Le 14 février 2020, un soir de Saint-Valentin, Kaïs Saïed recevait à Carthage le président de l'INAI, Imed Hazgui, venu lui présenter le premier rapport annuel de l'instance. Le chef de l'Etat s'était alors fait l'éloge du droit d'accès à l'information, le présentant comme un pilier de la démocratie, un instrument de transparence et un moyen de renforcer la responsabilité publique. Il parlait même de « construction d'une citoyenneté active », donnant à l'INAI une valeur quasi fondatrice dans le processus démocratique tunisien.
Deux ans plus tard, Saïed consacrait cette conviction en inscrivant l'INAI dans la Constitution de 2022, qu'il avait lui-même rédigée. L'instance devenait alors, sur le papier, une composante essentielle du dispositif institutionnel.
Cinq ans plus tard, le contraste est brutal. L'instance n'existe plus. Sans explication, ses bureaux ont été fermés, ses employés dispersés, ses prérogatives réduites à néant. L'amour présidentiel proclamé un soir de Saint-Valentin s'est transformé en indifférence glaciale. Pire, en retournement contre un engagement solennel, puisque la Constitution elle-même garantissait son existence et son rôle.

Un démantèlement systématique
La disparition de l'INAI ne peut pas être comprise comme un accident de parcours. Elle s'inscrit dans une stratégie méthodique de démantèlement des contre-pouvoirs institutionnels, déjà éprouvée dans d'autres pays. Depuis son arrivée au pouvoir, Kaïs Saïed a progressivement neutralisé toutes les structures indépendantes qui constituaient des freins à l'arbitraire : l'Instance de lutte contre la corruption (Inlucc), la Haute autorité indépendante de la communication audiovisuelle (Haica), le Conseil supérieur de la magistrature, et désormais l'INAI. Chaque fois, le procédé est similaire : affaiblissement progressif par la vacance des postes, asphyxie budgétaire et administrative, puis fermeture brutale dans l'opacité.
Cette logique n'est pas propre à la Tunisie. Elle rappelle ce qui se joue dans d'autres pays, y compris dans des démocraties installées. Aux Etats-Unis, Donald Trump est en train de démontrer combien l'exécutif peut s'attaquer à des institutions indépendantes, de la justice fédérale aux agences de protection de l'environnement, en passant par les universités et ce en cherchant à placer des loyalistes ou à réduire leurs moyens. En Hongrie, Viktor Orbán a patiemment vidé de leur substance les organes de régulation et les juridictions indépendantes, créant un système verrouillé où la presse et la société civile ne peuvent plus jouer leur rôle de garde-fous. En Pologne, le gouvernement nationaliste a tenté de mettre au pas le Conseil national de la magistrature et la Cour constitutionnelle, suscitant l'ire de l'Union européenne. Même en Inde, la démocratie la plus peuplée du monde, le pouvoir de Narendra Modi est accusé d'avoir affaibli les contre-pouvoirs institutionnels et réduit au silence les autorités de contrôle.
Ces exemples montrent une tendance globale : lorsqu'un pouvoir veut se consolider sans partage, la première étape est toujours de saper les institutions indépendantes censées limiter son arbitraire. Ces organismes – qu'ils soient chargés de garantir la transparence, de protéger la liberté d'expression, de veiller sur l'intégrité électorale ou de contrôler la corruption – deviennent des cibles prioritaires. Les éliminer ou les affaiblir, c'est réduire la démocratie à un simple décor institutionnel, vidé de toute substance.

Une démocratie vidée de ses garde-fous
Avec la fermeture de l'INAI, la Tunisie franchit une étape supplémentaire dans l'effacement de ses contre-pouvoirs. Après l'Inlucc, la Haica et le Conseil supérieur de la magistrature, c'est l'instance chargée de garantir la transparence qui disparaît. En moins de cinq ans, l'architecture institutionnelle laborieusement bâtie après 2011 s'est effondrée, pierre après pierre.
Ce processus n'est pas anodin : il marque un basculement. Les garde-fous mis en place au lendemain de la révolution, souvent perçus comme des « luxes » par un pouvoir obsédé par la centralisation, sont méthodiquement démantelés. Ce qui était présenté comme des conquêtes démocratiques est désormais qualifié d'entraves à l'action de l'Etat. La logique est limpide : concentrer tous les leviers entre les mêmes mains et éliminer tout mécanisme de contrôle.
La disparition de l'INAI n'est donc pas seulement un épisode administratif ou une polémique passagère. Elle symbolise le recul démocratique d'un pays où les institutions censées protéger les libertés, garantir la transparence et contrôler les abus ne sont plus que des souvenirs. À l'heure où le monde entier s'inquiète de la montée des régimes autoritaires, la Tunisie choisit, elle aussi, d'éteindre ses lumières.


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