Au premier semestre 2025, les loyers d'appartements vides ont encore progressé en Tunisie, malgré un recul de la demande. Le Grand Tunis, le Cap Bon et le Sahel conservent leurs quartiers stars, mais les petites surfaces restent le nerf de la guerre et tirent la hausse des prix.
Il fallait s'y attendre : la crise du logement rattrape le marché de la location. Selon la dernière étude du site spécialisé Mubawab, rendue publique lundi 22 septembre, les loyers moyens des appartements ont grimpé de 4 % en un an, alors même que la demande recule de 16 % par rapport au premier semestre 2024. Une équation qui semble défier la logique, mais qui illustre parfaitement les tensions d'un marché où l'offre reste figée et où chaque bon appartement devient un petit jackpot.
Le nord du Grand Tunis reste intouchable Dans la capitale, les zones huppées continuent de dicter la tendance. Les Jardins de Carthage conservent leur couronne avec des loyers moyens de 1.530 dinars pour un S+1, 1.970 dinars pour un S+2 et 2.350 dinars pour un S+3. La Marsa et Aïn Zaghouan Nord suivent de près, avec des hausses de 4 à 6 % sur les petites surfaces. Derrière ce trio, Ennasr 2, La Soukra et El Aouina confirment leur statut de valeurs sûres, portées par une clientèle de jeunes actifs qui privilégient les appartements de 50 à 90 m², plus faciles à louer et à chauffer… même quand il faut casser un peu plus la tirelire.
Cap Bon et Sahel : la mer attire toujours Sur le littoral, Hammamet Nord capte à lui seul 21 % de la demande régionale. Les loyers y atteignent 1.000 dinars pour un S+1 et 1 420 dinars pour un S+3, preuve que la proximité de la plage se paie cher, même en dehors des pics estivaux. À Nabeul Centre et Cité El Wafa, les prix restent plus doux, mais continuent d'avancer. Plus au sud, le Sahel affiche des progressions parfois spectaculaires : +12 % à Monastir pour les S+2, +9 % pour les S+3, tandis qu'El Kantaoui confirme son rang de station la plus convoitée avec des loyers flirtant avec les 1.550 dinars pour un S+3.
Petites surfaces, grandes tensions Partout, les S+1 et S+2 concentrent la demande et les plus fortes hausses, souvent entre +5 % et +8 %. Les S+3, eux, évoluent plus calmement. La raison est simple : inflation et pouvoir d'achat poussent les locataires vers des logements compacts, plus abordables à l'entrée et plus rapides à relouer. Résultat : la compétition est féroce sur les petites surfaces, et les propriétaires savent qu'ils peuvent augmenter leurs loyers sans craindre de voir leur bien rester vide. Pour Rami, jeune locataire qui vient de décrocher un S+1 à Aïn Zaghouan Nord, la chasse vire au sprint : « On a visité trois appartements et les deux premiers ont été loués avant même que l'on rende la clé. J'ai dû accepter un loyer plus élevé que prévu, juste pour ne pas tout perdre. » De l'autre côté, Leïla, propriétaire d'un S+2 aux Jardins de Carthage, avoue qu'elle n'a « même pas eu le temps de publier sur plusieurs plateformes » : « J'ai reçu dix appels en deux jours. Les gens se battent pour les petites surfaces bien placées. »
Une méthodologie qui ne trompe pas L'étude de Mubawab se base sur les annonces d'appartements vides destinés à la location longue durée, publiées entre janvier et juin 2025. Les valeurs extrêmes ont été écartées pour refléter des loyers représentatifs, et les évolutions sont calculées en comparant le premier semestre 2025 au même semestre de 2024. Pas de chiffres officiels de l'INS ici, mais un thermomètre précis des transactions en ligne, là où se joue désormais une grande partie du marché. Derrière les chiffres froids du baromètre, c'est tout un mécanisme économique enrayé qui se dévoile. La demande locative recule, mais les loyers montent. Pourquoi ? Parce que l'offre ne suit pas, et pas seulement en quantité. Les nouvelles constructions se raréfient, les chantiers sont plombés par le coût du foncier, la flambée des matériaux et une fiscalité de plus en plus lourde. Résultat : les appartements bien situés et correctement entretenus deviennent une denrée rare, et leur rareté suffit à maintenir les prix, même quand les candidats se font plus prudents. Pour les promoteurs, le message est double. D'un côté, le marché envoie un signal clair : la demande existe pour des produits de taille moyenne, bien conçus, proches des services, à un ticket d'entrée supportable. De l'autre, l'équation financière s'est durcie. Construire revient plus cher, mais le pouvoir d'achat des locataires plafonne. Seuls ceux qui sauront optimiser les surfaces et maîtriser les coûts – sans sacrifier la qualité – trouveront un équilibre entre rentabilité et accessibilité.
Tendance parlante La tension sur les S+1 et S+2 n'est pas une mode passagère : c'est le reflet d'un changement sociologique. Les ménages se réduisent, les jeunes retardent l'achat, et les expatriés reviennent par vagues saisonnières. Autant de profils qui privilégient la location souple et les petites surfaces stratégiques, quitte à payer plus cher au mètre carré. Le repli de la demande ne signifie cependant pas des loyers plus doux, mais simplement un marché où chacun doit faire plus de concessions : superficie, quartier, équipements. Les chiffres de Mubawab, basés sur des milliers d'annonces, agissent ici comme un thermomètre sans filtre. Ils ne disent pas seulement ce qui se passe en ligne, mais captent le cœur des tensions urbaines tunisiennes : un immobilier qui construit peu, un Etat qui régule mal, et des propriétaires qui arbitrent en faveur de la rareté. Tant que cette équation restera intacte – coûts élevés, offre limitée, fiscalité dissuasive – le marché locatif continuera de défier la logique économique. La demande peut baisser, les loyers ne redescendront pas. C'est la loi du mètre carré rare, celle qui, en Tunisie comme ailleurs, finit toujours par dicter sa propre vérité.
Maya Bouallégui
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