Béji Caïd Essebsi a fait « la Une » de la quasi-totalité des journaux du lundi 9 mai 2011, suite à son débat télévisé diffusé la veille. Ses réponses et commentaires ont été appréciés par l'écrasante majorité des journaux et des analystes, dont Business News. Il n'en demeure pas moins que son discours a été, également, accueilli par une partie de l'opinion publique, avec désaccord et opposition fermes. Des commentaires violents voire virulents sont diffusés en parallèle des éloges. Pour donner cet autre son de cloche, voici quelques uns des arguments opposés par les personnes que Béji Caïed Essebsi n'a pas réussi à convaincre. Ces témoignages sont essentiellement recueillis sur Facebook, dans la rue et auprès de nos lecteurs. Une certitude dans tout cela : les Tunisiens sont bel et bien divisés. Et une question demeure : à qui tout cela profite-t-il ? Lors de sa rencontre avec les journalistes des trois chaînes de télévision nationales, le Premier ministre Béji Caïed Essebsi, s'est prononcé sur les déclarations explosives de Farhat Rajhi, ex-ministre de l'Intérieur, qui ont fait éclater des manifestations et des violences un peu partout dans le pays. M. Caïed Essebsi a indiqué qu'outre sa faible connaissance des rouages de l'Etat, son irresponsabilité et sa nonchalance, M. Rajhi était sûrement manipulé par des lobbies. Il ne s'agissait pas, selon le Premier ministre, de « résidus » de l'ancien régime, mais plutôt de nouvelles forces occultes. Béji Caïed Essebsi a traité de dangereux et même de «diabolique» le comportement de Farhat Rajhi, nécessitant selon lui, des poursuites judiciaires. Et avec une pinte d'ironie, il a ajouté que cet homme censé « blanchir » l'image du gouvernement a, au contraire, entâché cette image par son attitude plus que louche ! M. Caïed Essebsi n'a pas omis de condamner également les propos et les suggestions plutôt tordues du journaliste, Hamdi Ben Salah, dont il confirme connaître l'appartenance et les intentions. La réaction du Premier ministre quoique prévisible, a choqué certaines personnes, par son aspect caricatural. On a vu défiler sur Facebook et à travers certains articles, l'expression d'un vif mécontentement voire d'une grande déception. En effet, M. Caïed Essebsi tout en reflétant une image prestigieuse et hautaine s'est quand même rabaissé à traiter Rajhi de malade et de dérangé. Certains reprochent également au Premier ministre de s'être catégoriquement obstiné à nier l'existence de « snipers » alors que, des témoignages et des vidéos les ont bien montrés, en pleine action sur les toits des immeubles. Qui étaient ces personnes cagoulées, planquées à guetter et à tirer, alors ? pourquoi ne nous dit-on pas tout ? M. Caïed Essebsi, a affirmé, par ailleurs, que le « gouvernement de l'ombre » n'existe pas et a insinué tout le long de son discours que « des forces occultes » ont orchestré l'interview de M. Rajhi et ont programmé les manifestations. Si ces forces inconnues, tels des ovnis, sont bien là et influent sur la scène politique, ajoutent les mêmes critiques, pourquoi ne pas appeler les choses par leurs noms et dire franchement qui est derrière tout ça ? Pourquoi ces zones d'ombre qui laissent libre cours aux interprétations et aux suppositions ? A moins que le Premier ministre ne dispose pas d'assez de preuves et alors il commettrait la même erreur que Rajhi ! D'un autre côté, on reproche à M. Caïd Essebsi de ne pas porter vraiment les journalistes dans son cœur. Certes, c'est quelqu'un qui a beaucoup de charisme et impressionne son auditoire, mais son ironie, sa prise de parole et sa gestuelle ne laissent paraître aucun respect ni aucune sympathie envers ces journalistes. On estime scandaleux le fait que le Premier ministre ait affirmé ne pas être au courant de l'agression des 14 journalistes et n'ait parlé que du photographe. « Ce n'était pas assez important à ses yeux de s'attarder sur cette violence perpétrée contre les journalistes, et il s'est dérobé de répondre en affirmant que le différend avec le photographe a été résolu à l'amiable ». Pas la peine donc « d'en faire toute une histoire !» a précisé M. Caïed Essebsi, accusant les journalistes d'amplifier les événements et de jeter de l'huile sur le feu. De toutes les manières, « le ministère de l'Intérieur a présenté des excuses, et c'est une première en Tunisie ! ». On devrait donc s'en satisfaire, d'autant plus que le Premier ministre a cité les cas de répression au Yémen, en Syrie et en Libye et on devrait, à l'entendre, remercier Dieu qu'on soit en Tunisie ! M. Caïed Essebsi a évoqué, par ailleurs, ce qu'il a qualifié de « crise » dans les prisons, et a expliqué que les incidents sont dus, au départ, à une grève des gardiens et que ça avait ensuite eu l'effet boule de neige, puisque les tentatives et les fugues ont gagné d'autres prisons. Ceci étant, la situation reste floue, plusieurs personnes disent ne pas comprendre qui a fait quoi, ni le sort des détenus évadés. Venant à la question posée sur la situation frontalière et les obus libyens, M. Caïed Essebsi a salué les efforts de notre armée nationale et a catégoriquement réfuté la possibilité de l'intervention des forces de l'OTAN sur notre territoire ni même dans notre espace aérien. Il est revenu, à ce propos sur un ton ironique, sur l'accusation faite par Farhat Rajhi, à l'encontre du général Ammar, insinuant une éventuelle complicité avec le Qatar dans la préparation d'un coup d'état, expliquant qu'il s'agissait tout simplement d'une visite diplomatique en vue d'une collaboration économique et de futurs débouchés. Plusieurs articles et commentaires parus sur le Net expriment, à ce titre, le mécontentement face à cette réponse dérisoire. « A-t-on besoin d'envoyer des responsables militaires pour résoudre nos problèmes de chômage ? Il aurait mieux valu que le Premier ministre nous révèle les vraies raisons de cette visite, ou bien alors s'abstenir d'en parler dans la mesure que cela relève du secret d'Etat et qu'il serait logique et légitime que la question reste confidentielle. » M. Caïed Essebsi a également évoqué les partis politiques critiquant la majorité d'entre eux de s'être tus, à l'exception des partis, déjà existants avant le 14 janvier et ayant fait partie du gouvernement transitoire. Il a ainsi donné une sorte de « bon point » au PDP et Ettajdid oubliant tout le reste. A ce propos, certains partis contestent cette accusation et rappellent au Premier ministre que plusieurs « petits partis » ont donné des discours et publié des communiqués, tels que l'Union Populaire Républicaine, ou Afek Tounes, pour exprimer leurs prises de position et leurs suggestions. Le Premier ministre est revenu avec amertume sur la question d'insécurité, pour affirmer de nouveau, l'existence d'individus qui, disait-il : « ne veulent pas que le pays soit sécurisé et stable ». Qui est derrière cette instabilité ? Qui est derrière la distribution d'argent aux fauteurs de troubles ? La question fut posée, mais aucune réponse n'est venue, reproche-t-on au Premier ministre. Et quand la journaliste Rim Saïdi l'a relancé avec brio en demandant si ce n'est pas Ennahdha, M. Caïed Essebsi a démenti. Quel est le parti qui est derrière ces troubles ? La rue se pose plusieurs questions : saurons-nous un jour, avec clarté ce qui se passe dans notre pays de la bouche des hauts responsables de l'Etat ? Ou risquons-nous de rester encore longtemps à tâtonner dans le noir pour comprendre les rouages, Pour quand envisageons-nous un nouveau départ et faire de sorte que ce soit dans la bonne direction ? En définitive, il faudrait probablement plus d'une rencontre pour tirer au clair la situation en Tunisie, qui reste obstinément ambigüe et opaque. En attendant, la rue est divisée et le climat d'insécurité revient en force. A qui tout cela profite-t-il ? Dorra Meziou