Un des grands barons sous le règne de l'ancien régime de Ben Ali, Hamed Karoui, ancien Premier ministre de 1989 à 1999 et ancien vice-président de l'ex-RCD, est sorti de son silence lors d'une interview fleuve accordée, mercredi 12 septembre 2012, à Naoufel Ouertani, lors de son émission « Midi Show » sur Mosaïque-FM. C'est en cette qualité et en celle de proche et ancienne connaissance du chef du gouvernement actuel que Hamed Karoui a accordé cet entretien dans lequel il a brossé un historique de son cursus politique avant et après l'indépendance, sous Bourguiba et sous Ben Ali tout en niant faire partie d'un quelconque gouvernement de l'ombre. « Si j'étais parmi les coaches de Hamadi Jebali, la situation n'aurait pas été ce qu'elle est maintenant », précise t-il en substance. « J'ai rencontré M. Jebali, ancien ami des années 80, deux fois, depuis qu'il est chef du gouvernement. La première fois pour lui faciliter la tâche avec Mohamed Ghannouchi en vue des procédures du retour de Rached Ghannouchi au pays. Et la seconde fois, lors d'un entretien de courtoisie », affirme t-il. Pa contre, je suis intervenu pour convaincre Foued Mebazzaâ d'accepter le poste de présidence de la République. Après un round-up exhaustif de son parcours, Hamed Karoui a parlé avec une grande franchise des ministres de Ben Ali et, surtout des RCDistes en assurant que sous le règne de Ben Ali, il n'y a pas que du négatif. Au contraire, la Tunisie a connu de nombreuses réalisations, notamment, sur les plans socio-économiques, ce qui n'a pas été le cas au niveau politique avec l'instauration de la dictature. Ainsi, Dr Karoui vient d'ouvrir une brèche et de lever un tabou, dans le sens où il est le premier à oser évoquer et insister sur certains volets positifs sous Ben Ali et son régime. Un autre aurait parlé de la sorte, ses propos auraient été qualifiés de « blasphématoires ». C'est dire qu'une brèche vient d'être ouverte en la matière. Abondant dans le même sens, l'ancien Premier ministre estime que les procès intentés à l'encontre d'anciens « barons » du régime de Ben Ali sont d'ordre politique dans la mesure où jusqu'à présent aucune charge n'est retenue contre eux et qu'après deux saisons estivales passées en prison, aucun document sérieux ou accablant ne se trouve dans leurs dossiers. Et pour corroborer ses dires, Hamed Karoui cite son cas. « J'ai découvert par l'intermédiaire des médias que je suis convoqué devant la justice suite à une plainte déposée par un collectif de 25 avocats. A regarder de plus près, j'ai découvert que 24 d'entre sont, pour moi, d'illustres inconnus, alors que le 25ème, en l'occurrence, Me Abdessattar Ben Moussa, était Bâtonnier après avoir été le candidat de Ben Ali. Et je préfère ne pas en dire plus à son encontre ». Et après avoir livré les détails de son interrogatoire par le juge d'instruction, Dr Karoui clame : Il s'est avéré que nous étions propres puisque l'affaire a été classée. Et je peux dire que les « symboles du passé et de la corruption » sont réellement propres ». Il faut faire la part de choses entre RCD et les membres du RCD. Il y a probablement des RCDistes corrompus et nous réclamons qu'ils soient connus et jugés afin d'éviter à l'avenir toute confusion en la matière. Ceci a amené, l'ancien premier ministre de donner son avis sur la question d'un éventuel projet de loi excluant les RCDistes de toute activité politique et de se présenter aux prochaines échéances électorales. Ce serait une grave erreur que de faire démarrer la nouvelle République par une mesure anticonstitutionnelle. « En effet, seule la justice et à titre individuel, peut priver une personne de ses droits civiques, précise t-il, avant d'ajouter qu'en procédant par la promulgation de lois votées par une Constituante acquise à la Troïka au pouvoir, cela va faire émerger des situations que la future Cour constitutionnelle s'évertuera, logiquement, à faire abroger ». Il en est de même, assure Dr Karoui, pour les hommes d'affaires interdits de voyage. Et là, il fait une proposition pratique. On laisse ces hommes d'affaires libre de voyage, mais avant chaque départ, il fait un engagement hypothéquant ses biens jusqu'à son retour. Et pour conclure ce volet, Hamed Karoui estime que ce qui est appelée « justice transitionnelle » n'est, en fait, qu'un simple mirage. D'ailleurs, pour lui, il n'y a ni justice transitionnelle, ni sélective, ni discriminatoire. Il y a une justice, et c'est tout. A ce propos, il insiste sur le cas de Abir Moussi qui, de victime, a été transformée en « bourreau » ayant aspergé un de ses collègues avec du gaz, alors qu'en réalité, elle a été lynchée, frappée et tirée par les cheveux, documents et témoignages à l'appui. Et malgré tout cela, des juges trouvent le moyen de la condamner à une peine légère (sursis et amende), juste pour la condamner. Ce qui prouve que le jugement a été dicté. « Et c'est une honte qu'il y ait, après la révolution, des verdicts imposés et des juges incapables d'arracher leur indépendance vis-à-vis du pouvoir. Revenant à l'époque où il était Premier ministre sous Ben Ali, Dr Karoui a mis l'accent sur les hautes et jeunes compétences qui l'entouraient et avec qui, il estime avoir réussi sa mission sur les deux plans social et économique. « La Tunisie réalisait un taux de croissance régulier de 5%, n'avait pas un taux d'endettement élevé de 40%, nous étions le bon élève du FMI, sans geler les salaires et sans libérer totalement les prix. Il y avait des augmentations salariales régulières décidées tous les trois ans grâce à des négociations avec les partenaires sociaux. Je citerai, en particulier Ismaïl Sahbani et Hédi Djilani qui ont été pour beaucoup dans la réussite de ce processus ». « Nous avons également réussi dans nos négociations avec l'Union Européenne en obtenant un délai de douze ans. Donc, ceux qui veulent effacer toute œuvre positive sous Ben Ali se trompent ou bien veulent déformer l'histoire, ce qui est très grave ». L'ancien Premier ministre est revenu, aussi, sur les premières années de Ben Ali en qualifiant la Déclaration du 7 novembre d'événement majeur et historique auquel toutes les forces politiques avaient adhéré, y compris le MDS d'Ahmed Mestiri et Ennahdha. « Ben Ali allait dans le bon sens en ouvrant le jeu aux différents partis politiques. Il avait même donné ses instructions, en 1990, pour octroyer le visa au parti islamiste, une action que j'encourageais de toutes mes forces, indique encore Dr Karoui avant d'ajouter : « je lui disais qu'en autorisant tous les partis de l'opposition, il pouvait gagner les élections à hauteur de 65/70% ». Mais malheureusement, il en a été autrement. Il a commencé par faire éloigner Habib Ammar et Hédi Baccouche avant de glisser dans les travers de la dictature qui avait commencé, il faut le reconnaître, avec Bourguiba. « Une situation négative est née, alors, aggravée par son mariage avec Leila Trabelsi, ce qui a conduit à des dépassements et à des abus à grande échelle. Mais personne, même pas moi, ne pouvait lui fait part de la moindre critique concernant sa belle famille », assure t-il en substance avant d'indiquer que personne ne pouvait refuser de traiter avec la « famille ». « Je pourrais dire que notre génération a échoué dans la réalisation de deux objectifs majeurs, en l'occurrence l'instauration d'un régime démocratique et l'édification du Grand Maghreb Arabe. Et c'est cette absence de démocratie qui aurait fait émerger la pratique de la torture. Et croyez-moi, je n'avais pas de détails sur ces pratiques. Et je tiens à dire que les ministres de l'Intérieur et de la Défense ont toujours été des responsables de façade, car ils n'ont jamais eu, sous Ben Ali, un réel pouvoir de décision ». Pour conclure, il revient à l'état actuel des choses en Tunisie en précisant : « la liberté signifie, désormais, anarchie. Il faut éviter cette manie d'appeler, à tout bout de champ, à la chute du gouvernement, car cela ferait couler tout le pays, d'où la nécessité pour l'opposition d'adopter une attitude de soutien critique et conditionné ».