Celui qui a remporté un score des plus alléchants lors du suffrage du 23 octobre 2011, affichait un discours démocratique à s'y méprendre et pourtant, aujourd'hui, les masques sont tombés. Le parti politique, au discours juste, aux choix politiques judicieux et aux positions séduisantes, a fini par trahir ses électeurs, mais aussi ses propres militants dont les démissions se multiplient depuis des mois. Si les membres d'Ettakatol s'attendaient à ce que le parti garde son identité et s'affirme davantage lors de son entrée dans la Troïka, grandes ont été leurs désillusions. Après Sélim Ben Abdessalem, Fatma Gharbi, Ali Bechrifa et Selma Mabrouk, derniers députés à l'ANC à avoir quitté le parti, c'est au tour de Zied Miled, membre du bureau politique et de la commission de coordination entre les partis de la Troïka, de tirer sa révérence d'un parti, qui n'a selon lui plus aucune place dans l'alliance tripartite au pouvoir. Devant cette avalanche de démissions et cette forte perte de confiance, quel avenir reste-t-il aujourd'hui pour Ettakatol ? « La démission de Zied Miled n'est pas une démission comme une autre », affirme Mohamed Bennour, porte-parole du parti. Proche de Mustapha Ben Jaâfar, réputé pour être l'une des têtes pensantes du parti, Zied Miled a toujours défendu une « architecture politique » dans la Troïka, cette alliance déséquilibrée qu'il qualifie de « mariage sans amour », dans un entretien accordé au journal Le Maghreb, en date du 4 novembre 2012. Nombreux sont ceux qui affirment aujourd'hui que le succès remporté par Ettakatol lors des élections du 23 octobre 2011 était principalement dû à ses positions vacillantes, ou plutôt à ses absences de positions. En effet, alors que d'autres partis politiques avaient pris des risques et se sont levés à de multiples reprises pour approuver ou condamner certaines décisions, risquées pour leur côte de popularité, Ettakatol semblait avoir opté pour un effacement prudent, loin des positions controversées qui risqueraient de lui nuire. Un choix tactique d'un parti qui a su éviter habilement de tomber dans le piège de la fracture entre deux sociétés, selon certains de ses membres, une politique de l'autruche, selon ses dissidents. Il est aujourd'hui incontestable d'admettre que cette stratégie n'a servi qu'à affaiblir le parti et l'éloigner davantage de ses bases. « Les bases sur lesquelles s'est bâtie la coalition gouvernementale ont suscité le profond scepticisme de plus d'un », déclare dans sa lettre de démission Salma Mabrouk qui affirme que « l'hégémonie d'Ennahdha n'a pas tardé à se manifester au grand jour dès le début du mandat du gouvernement ». Au sein de la Troïka « aucun autre parti qu'Ennahdha, n'était prêt pour ce genre d'alliance, et c'est ce qui a causé l'effondrement d'Ettakatol aujourd'hui », soutient Zied Miled. Selon lui, Ettakatol n'avait pas les moyens humains et matériels de faire face à son allié au pouvoir et faire entendre sa voix ainsi que ses principes d'inspiration laïque. Le parti n'avait pas non plus les moyens de créer une véritable dynamique politique avec d'autres formations plus proches ou de se rapprocher des partis de l'opposition, compte tenu de sa coalition délicate avec Ennahdha. Dans cette alliance déséquilibrée, Zied Miled regrette l'insuffisance d'un programme de coalition signé publiquement par les bases des différents partis formant la coalition et comprenant, notamment, une répartition équitable de représentants de chaque parti, dans le cabinet de Hamadi Jebali, et ce, afin de constituer un lien entre le gouvernement et les différents partis de la Troïka. Mais au-delà même du fait qu'Ettakatol ait trahi ses membres, un véritable phénomène interne est aujourd'hui à l'origine de cette vague de démissions en série. De nombreux dissidents du parti reprochent, selon Karim Baklouti Barketallah, un autre dissident d'Ettakatol, « l'appropriation » du parti par certains de ses hauts cadres qui tiennent les commandes et refusent de faire participer les autres membres du parti. Le côté « rassembleur » d'Ettakatol, qui lui a valu un important nombre de membres appartenant à des courants différents, semble aujourd'hui participer à sa chute. Ce parti n'a pas trouvé le moyen de faire cohabiter les différents courants qui le composent. Pis encore, Mustapha Ben Jaâfar préférerait « laisser filer les membres jugés ‘'perturbateurs'' afin de ne garder que ceux qui partagent son avis sur les questions importantes ». Le parti a, en effet, du mal à s'adapter à sa nouvelle situation et à la croissance de ses membres et est resté en orbite autour de quelques membres dirigeants tels que Khalil Zaouia, Mouldi Riahi, Elyès Fakhfakh, et bien entendu, Mustapha Ben Jaâfar. Ces personnalités éminentes du parti se réunissent, selon de nombreux dissidents, et décident seules de ce qui doit se faire ou pas, sans véritables consultations. Un manque de concertation avec le reste de la base que lui reprochent aujourd'hui de nombreux dissidents, tels que Sélim Ben Abdessalem qui regrette le manque d'opportunité accordée à certains membres de donner leurs appréciation sur certaines grandes décisions prises au sein du parti. De nombreux démissionnaires aujourd'hui estiment que leur travail et leurs sacrifices n'ont pas apporté les reconnaissances et les gratifications requises et se sentent frustrés de voir le parti évoluer sans eux. Ceux qui, à l'instar de Zied Miled, croyaient en les valeurs originelles du parti, affirment que ces principes ont été bafoués et que la crédibilité est aujourd'hui totalement perdue. Dans sa démission, il affirme que le « déclic » a eu lieu lors du dernier conseil du parti qui n'a pas débattu de la situation dans le pays, ni du rôle joué par les ministres, mais a plutôt gratifié les « bons résultats d'Ettakatol ». Les choses allaient s'empirant chaque jour, affirme sur sa page personnelle, Karim Baklouti Barketallah, qui explique les vagues successives et non ordonnées de démissions que connaît le parti actuellement, par les élans de confiance vacillante des anciens membres en la personne de Mustapha Ben Jaâfar, aux prises de position quasi-inexistantes et au suivisme aveugle, caractérisant parfaitement la ligne conductrice du parti. Le positionnement d'Ettakatol ne correspond plus aujourd'hui aux promesses faites à ses électeurs et sa place dans la coalition tripartite est plus que jamais controversée. Le parti a perdu sa chance historique de se démarquer et de sortir du lot, notamment durant la crise du 23 octobre où il a renoncé à s'allier avec les démocrates, cédant ainsi à l'hégémonie d'Ennahdha. Les vagues de démissions sont aujourd'hui marginalisées par le leadership du parti qui les place sous le compte de « divergence de points de vue et non de problèmes insolubles », selon les déclarations de son porte-parole, Mohamed Bennour qui appelle Zied Miled à revenir sur sa décision et de rejoindre les rangs du parti. Ettakatol est un parti qui revendique une non-polarisation dans le paysage politique tunisien et son alliance suiveuse et sans compromis avec le parti islamiste a été, en grande partie, à l'origine du mouvement de ras-le-bol de nombreux de ses membres. Sans certains de ses précieux militants, le parti est-il aujourd'hui capable de se positionner pour gouverner ? Ettakatol a-t-il encore les moyens de renaitre de ses cendres ?