« Qui gouvernera le monde ? Les Etats Unis, la Chine, l'Inde ou l'Europe ? Les multinationales ? Les mafias ? » C'est en ces termes que Jacques Attali pose en 2011 la question, également titre de son œuvre, « Demain, qui gouvernera le monde ? « Faut-il laisser le pouvoir sur le monde aux religions ? Aux marchés ? Ou bien faut il le rendre aux nations, en refermant les frontières ?, ajoutera t il, conscient qu'il est urgent d'oser y penser pour le meilleur du monde, selon sa vision, cela s'entend. En 2013 en Tunisie, les enjeux ne sont pas à ce niveau de voltige mais ils n'en sont pas moins importants et vitaux, compte tenu de leur intime liaison avec le présent et l'avenir de notre pays, son peuple et sa jeunesse. La problématique économique s'impose à tous et personne ne sera crédible s'il n'y prête pas attention , alors que c'est ça en premier et dernier lieu que l'on appelle , simplement mais gravement, le vécu quotidien du citoyen .Et rien , strictement rien n'aura plus d'importance autant que ces prix qui crèvent tous les plafonds et vident le fameux panier de la ménagère .Rien ne pourra prendre le pas sur la sensibilité aux coûts dispendieux de la santé , à la qualité qui dégringole des études dispensées à nos enfants, ni sur l'emploi des centaines de milliers dont certains sont diplômés du « supérieur » qui n'arrivent pas à intégrer . Ce « papier » n'a pas la prétention de traiter l'ensemble de la problématique, qui a besoin d'un arsenal de contributions et de documents à contenu rigoureux et qui, au demeurant, font encore défaut, chose qu'il va falloir penser à rattraper et à corriger. J'évoquerais, quant à moi, « seulement » le cas de ces fleurons de l'économie nationale que l'on appelle « entreprises publiques ». Ces unités ont été tunisifiées ou créées à la proclamation de l'indépendance, ont fait que ce pays qui ne disposait pas des atouts de ses voisins maghrébins ait pu édifier un tissu économique malgré des terres agricoles moins productives, une infrastructure notamment portuaire moins développée, un marché intérieur étriqué, une épargne faible, un chômage élevé et un équipement industriel rudimentaire . Un taux de croissance de l'ordre de 4 % par an jusqu'à 1955 était même tombé à 2 ,8 % durant la période allant à 1960. Mais l'Etat entreprend sa sortie de la zone franc, prend le contrôle de grands secteurs grâce à ses entreprises publiques et la Tunisie voit son investissement en promotion et même son commerce extérieur est relancé. Mais avant de revenir à ce qui reste de ces fleurons de l'économie dont le naufrage a été « décrété » en 1986 puis carrément érigé en choix officiel pendant un quart de siècle, voyons un peu quel est le remède au chaos des entreprises publiques qui va devoir être administré avant que ne s'évaporent celles qui ont pu résister aux coups de boutoir qui ont fait voler en éclats pas moins d'une bonne centaine d'offices, compagnies et autres régies publiques, récupérées dans un épais brouillard et sous diverses formes d'acquisitions par la confrérie des copains et des coquins ; ceux-là mêmes qui ont mis le pays sous coupe réglée , profitant de l'absence de cette chère liberté d'expression , premier allié fidèle du concept de la bonne gouvernance . La privatisation, puisque c'est de cela qu'il s'agit, aucune autre invention miracle n'ayant jusqu'ici émergé , mérite intérêt et assimilation de certaines nuances que les « comprenelles » des tenants du « résidu-contaminât » du dogmatisme ne veulent , ni ne peuvent admettre .On ne peut non plus regarder sortir du lot historique des nationalisations de belles et bonnes « machines » comme la STEG , SONEDE ou autre TUNISAIR sans un pincement au cœur . Alors, autant comprendre même si ça ne saurait être que maigre consolation Il faut aussi comprendre pour suivre et faire face à la fébrilité de certains de nos technocrates de l'administration devant ces dossiers .Pendant dix années , j'ai été bien placé avec les mains à la pâte dans une entreprise à majorité publique mais introduite en bourse (actionnariat privé panaché) , puis dans une entreprise à majorité privée mais avec un actionnariat public bien plus pesant sur la décision stratégique, pour voir faire certains statiques commis publics à la privatisation !! Ils évitaient soigneusement de monter au créneau , de vulgariser, d'expliquer, de défendre leurs dossiers .Bref , aucun enthousiasme pour mener à bon port des projets d'extension de privatisation avec objectif programmé de développement à la clé .Tout le monde hésite, tout le monde a peur et tout le monde préfère laisser les choses en l'état .Quel meilleur terrain que celui-là pour que les souris dansent et s'en donnent à cœur joie . Tous les pays développés ont appliqué des politiques de privatisation à partir des années 1980, puis nombre de pays dits du sud leur ont emboité le pas sur la recommandation du FMI et autres organismes mondiaux .En Grande Bretagne, Margareth Thatcher, Premier ministre durant onze années, en a fait l'axe central de sa politique .Elle répétait que privatiser était le moyen de dynamiser les entreprises concernées, mais aussi de casser ce que la dame de fer, dans ses élans de zèle, déplorait être la « cogestion » du secteur public . En France, le gouvernement Chirac de la cohabitation a suivi cette ligne à partir de 1986 .Ensuite, la gauche a, nolens volens, poursuivi ce retrait de l'Etat de la gestion directe des firmes au travers d'augmentations de capital réservées au privé .L'argument avancé a été celui de l'impossibilité pour l'Etat en manque d'argent de fournir seul tous les capitaux nécessaires au développement normal de ces sociétés .Dans les années 1990, les privatisations n'ont pas seulement concerné les secteurs bancaires et industriels, mais aussi les sociétés dites de service public comme les opérateurs de télécommunications, de transport ou les fournisseurs de gaz ou d'électricité .Les raisons invoquées sont toujours les mêmes, auxquelles est venue s'ajouter la volonté de la commission européenne d'ouvrir le champ de la concurrence à ces activités . En Tunisie, si l'on s'attaque à ce dossier, celui qui le fait doit pouvoir prendre le taureau par les cornes .Pour mener une mission aussi pointue et lourde, l'on doit savoir qu'on met dos à dos l'économique et le social pour un temps donné. Seul un politique fort peut jouer le rôle de tampon pour que le télescopage, en principe inévitable, ne soit pas détonnant. L'équipe qui sera aux commandes d'une opération aussi délicate va devoir être convaincue de ses choix, volontariste et doit pouvoir « aller au charbon », c'est-à-dire brasser et remuer du terrain pour vulgariser et expliquer par un message audible et des arguments harmonisés que c'est la seule voie du salut .C'est un vrai travail de sape et de reconstruction à faire sur les esprits pour les mettre au diapason de la réforme. Il doit être mené comme une campagne avec la différence que les politiques doivent être en solidarité complète avec les commis de L'Etat qui travailleront sur ce dossier. Rien ne s'oppose à ce que cela se passe sans casse .Une condition toutefois : une politique de communication bien pensée et élaborée, mais surtout bien véhiculée. *Consultant économiste et activiste politique.