La Tunisie s'est engagée depuis le milieu des années 1980 dans une politique de privatisation des entreprises publiques. Quel est donc le bilan de cette politique?
Tout d'abord, il est à rappeler que comme la majorité des pays en voie de développement, la Tunisie a commencé sa période postcoloniale par une politique d'intervention majeure de l'Etat dans la sphère économique. Ceci est justifié par la préparation de toute l'infrastructure nécessaire à l'activité économique. Après 3 décennies d'application de cette politique, on a abouti au milieu des années quatre-vingt à une situation économique désastreuse qui été caractérisée par 2 problèmes économiques majeurs à savoir: 1) Le problème financier qui est dû à l'écart entre les recettes et les dépenses de l'Etat (les dépenses excédent les recettes). Pour faire face à ce problème, l'Etat a recouru à l'endettement. 2) Le problème de l'inefficacité du secteur public dans la mesure où l'entreprise publique ne cherche pas le profit mais plutôt l'équilibre social, ce qui la rendre moins compétitive, et moins efficace. Face à cette situation critique, la Tunisie a opté donc pour la diminution de l'endettement, qui est essentiellement un endettement extérieur, et ce par la redynamisation des entreprises publiques de l'époque, ce qui l'a amené donc à l'adoption de la politique de privatisation des entreprises publiques. L'Etat tunisien a énoncé clairement que: «la privatisation vise principalement à: a) Garantir la pérennité de l'entreprise concernée à travers l'amélioration de son efficacité et de sa compétitivité tout en permettant la mobilisation des capitaux, la flexibilité de gestion et le transfert de technologies nécessaires à son développement; b) Consolider l'équilibre des finances publiques en réduisant, d'une part, les dépenses prises en charge par le budget de l'Etat au profit de certaines entreprises publiques et en lui procurant, d'autre part, des ressources additionnelles permettant de soutenir l'effort de l'Etat notamment dans les domaines de l'éducation, de la formation, de la santé, de l'infrastructure, etc.; c) Enfin, dynamiser le marché financier et développer l'actionnariat populaire par la réalisation d'Offres Publiques de Vente (OPV) et par l'introduction de certaines sociétés privatisées à la cote de la bourse». En Tunisie, l'organe responsable de la privatisation des entreprises publiques étant la Commission d'Assainissement et de Restructuration des Entreprises à Participations Publiques (CAREPP). Cette Commission qui est présidée par le Premier ministre, constitue en quelque sorte un mini-conseil ministériel, et ce, dans la mesure où elle comprend entre autres, le ministre des Finances, le ministre du Développement et de la Coopération Internationale, le ministre des Affaires Sociales et de la Solidarité et des Tunisiens à l'Etranger, ainsi que le Gouverneur de la Banque Centrale de Tunisie. Les opérations de restructuration qui sont financés par le Fond de Restructuration du Capital des Entreprises Publiques (FREP), sont éligibles à plusieurs avantages, dont principalement le dégrèvement fiscal au titre du bénéfice réinvesti, l'exonération de l'impôt sur les bénéfices des sociétés pendant les cinq premiers exercices d'activité effective, ainsi que l'exonération de la plus-value de cession réalisée par les entreprises publiques cédantes. Sur le plan des chiffres, la politique de privatisation et de restructuration des entreprises publiques a touché quelque 220 entreprises, qui représentent plus de la moitié des entreprises visées par cette politique. Une telle opération a générée près de 6 milliards de dinars au profit du trésor public. Pour ce qui est du mode de privatisation employé par la CAREPP, le tableau 1 nous montre que sur le total général des 219 entreprises privatisées, seulement 10 entreprises d'entre elles (5% en pourcentage) ont connu une ouverture du capital par offre publique de vente, ce qui signifie autrement que seulement 5% des entreprises privatisées, représentent vraiment une santé financière susceptible de leur permettre à contribuer à la satisfaction de l'objectif premier fixé par l'Etat tunisien à propos de cette politique de privatisation, à savoir l'objectif de garantir la pérennité de l'entreprise visée par cette politique, et ce, par l'amélioration de son efficacité et de sa compétitivité. Ceci est confirmé aussi par le pourcentage non négligeable des entreprises totalement liquidées par cette politique, qui est de l'ordre de 20%. Pour ce qui est de la répartition sectorielle des entreprises privatisées, le tableau 2 indique le faible pourcentage des entreprises agricoles qui représentent seulement 8% du total général, chose qui signifie donc que notre Etat considère que le secteur agricole est encore un secteur peu concerné par cette politique de privatisation. Pour le secteur industriel, la privatisation a concernée 83 entreprises représentant près de 38% du total général, et avec une recette globale de 1.067 millions de dinars, dont 864 millions de dinars relatifs seulement au secteur des industries des matériaux de construction, des céramiques et du verre. Malgré ces 1.067 millions de dinars de recettes, le secteur industriel tunisien est loin d'être le secteur primordial de cette politique de privatisation. En effet, c'est le secteur des services qui est en quelque sorte le secteur phare de cette politique, et ce avec ces 4.868 millions de dinars de recettes, représentant près de 82% de la recette totale, à noter encore le poids majeur du secteur des télécommunications dans ce secteur de services, et ce dans la mesure où les recettes dégagées par la privatisation des entreprises de télécommunications ont atteint 3.740 millions de dinars, représentant ainsi près de 63% de la recette totale de privatisation. Pour ce qui est de la part des investissements étrangers dans les recettes de privatisation, le tableau 3 nous montre que sur les 5.976 millions de dinars de recette globale des privatisations, 5.181 millions de dinars sont relatifs à des investisseurs étrangers, et dont 4.370 millions de dinars concernant le secteur des télécommunications. De tout ce qui précède des chiffres relatifs au phénomène de privatisation des entreprises publiques en Tunisie, nous pouvons énoncer qu'en résumé, il s'agit d'un phénomène de vente des entreprises du secteur des services à des investisseurs étrangers. Après 25 ans de sa mise en œuvre, la politique de privatisation des entreprises publiques n'a pas répondu encore aux attentes de l'économie tunisienne, et si l'on ajoute à tout cela, le coût social important qu'elle est en train d'engendrer, et ce en termes de licenciements et autres, cela laisse penser quant à la portée d'une telle politique, surtout que nous vivons aujourd'hui une période de remise en cause de plusieurs préjugés du passé.