« La France est une garce et on s'est fait trahir, le système voilà ce qui nous pousse à les haïr, la haine c'est ce qui rend nos propos vulgaires, on nique la France sous une tendance de musique populaire, on est d'accord et on se moque des répressions, on se fout de la république et de la liberté d'expression » ceci est un extrait d'une chanson de rap du groupe français Sniper dont un des membres est franco-tunisien. Ben Ali l'a d'ailleurs interdit du « bled », car il a appelé à lui cracher dessus dans l'un de ses pamphlets. Ces paroles ont valu à Sniper des poursuites judiciaires entamées par Nicolas Sarkozy, ministre de l'Intérieur de l'époque. En dépit de la « gravité » des mots utilisés dans cette chanson, Tunisiano, Aketo et Blako ont été relaxés par le tribunal de Rouen et Sarkozy les a qualifiés de « voyous qui déshonorent la France ». Sniper n'est pas l'unique groupe de rap ayant eu affaire à la justice française en raison du contenu de certaines de leurs œuvres. Les verdicts n'ont, néanmoins et au grand jamais, frôlé la lisière de la privation de la liberté, de la prison ferme, en d'autres mots. En Tunisie, pays aux profondes inspirations françaises, en l'occurrence au niveau de sa législation, il est un fait où il convient de « donner l'exemple », de « donner une leçon » sur fond de vengeance aveugle. Un jeune rappeur tunisien du nom de Alaa Yakoubi alias Weld El 15 s'est attiré les foudres d'une institution de l'Etat, celle des plus « intouchables » : la Police. Il n'a pas fallu longtemps pour que le titre ainsi que les paroles de la chanson ne fassent scandale et créent une polémique, considérée, au départ, comme fugace. « Boulissya Kleb » (les policiers sont des chiens), un titre qui a, somme toute, fait mouche. Aussitôt diffusé, aussitôt déclenchant l'ire du corps policier, car il y existe un appel au meurtre, vachement « prononcé » à l'encontre de la police tunisienne. Et comme un pet sur une toile cirée, les flics se sont rués vers la justice s'égosiller de leur indignation, eu égard au fait de les avoir assimilés à des « chiens », entre autres offenses. Les esprits gracieusement échauffés, les mandats d'arrêt ont fusé à tout va, les chefs d'inculpation demeurant brumeux, très peu convaincants. Et puis, la perplexité de la situation a conduit à une kyrielle d'interrogations, le genre qui fâche et qui salit la bonne gueule de la Tunisie avachie aux pieds de la révolution, de la liberté et de la dignité. Comment est-ce possible que l'on autorise la condamnation d'un artiste pour un simple clip vidéo bien que le contenu puisse être considéré comme contraire aux mœurs ? Weld El 15 a fini par écoper de deux ans de prison ferme ! Bonté divine qu'on a envie de crier ! Si l'on se met à la place de la police, cette même police qui a eu pour habitudes, foncièrement ancrées, d'offusquer, maltraiter, injurier, et même violenter un peuple désabusé, jadis par son maître Ben Ali, et qu'on devienne, d'un coup, cible de ces mêmes pratiques, on peut quasiment y voir une forme de détrônement. Le revers, ou pour davantage de justesse, la pilule est cruellement dure à avaler. « La police doit faire peur, et la police c'est nous, d'aucun n'a le droit d'outrepasser la frontière de la peur que nous autres flics avons instaurée à l'ère de l'oppression ». Voilà ce qu'on pourrait lire entre les lignes des agissements de notre brave police suite à cette humiliation publique, teintée de mépris. Le fait est que la police a adopté, à la prononciation du verdict contre Weld El 15, une attitude de motus et bouche cousue. En ce sens que le syndicat de l'Institution sécuritaire n'a pas réagi à la condamnation ni en la cautionnant, ni en la dénonçant. Il faut dire que la police s'est trouvée avec le cul entre deux chaises : avaliser le jugement reviendrait à conforter l'idée exposée par Weld El 15 ; réfuter le verdict reviendrait à refuser la sympathie et la compassion des juges. Dans les deux cas, il y a lieu de constater un calcul qui est, pour le moins, malsain. Même position en ce qui concerne les juges, précisément. Ces derniers ont été mis face à un dilemme : donner un satisfecit aux flics leur témoignant ainsi toute leur solidarité et profiter de l'occasion pour donner l'exemple et dire à qui veut bien l'entendre : halte à l'insulte de la police ; ou briser la chaîne qui les attache aux flics en se prononçant en faveur du rappeur, en appliquant une sentence beaucoup plus clémente, loin de la privation de la liberté, en tous cas. Mais entendons-nous bien : il n'est pas question de se laisser entraîner derrière un fervent support sans bornes à la liberté d'expression et à la liberté artistique, tolérant ainsi jusqu'aux appels aux meurtres. Tous sommes lucidement conscients de la gangrène touchant le corps de la police tunisienne, simplement, les règles de la vie sociale et communautaire nous imposent de respecter une certaine exception et d'éviter de se livrer à la généralisation, bien souvent nuisible. Tout bien pesé, l'équation est fichtrement complexe à résoudre : punir à l'insulte par la répression ou préserver la liberté d'expression par l'impunité. Et puis l'on s'accorde à dire qu'il est de droit d'infliger une sanction en réponse à un acte de responsabilité, seulement voilà, la sanction ne devrait pas dévier des normes standards de la Justice. Priver un artiste de sa liberté pour deux années, reviendrait à juger son « crime » comme bien plus hideux qu'un vol ou une agression physique grave. L'exemple des condamnés salafistes de l'ambassade des Etats Unis d'Amérique en est une belle illustration : ces gars n'ont écopé que de deux ans de prison…avec sursis ! Drôle de justice, en effet. Raison est de constater que Weld El 15 a emboîté le pas à une campagne menée par l'institution policière dont le but est de redorer le blason de l'insigne. En d'autres mots, au moment où nos flics cherchent à laver leur honneur de toute la crasse cumulée 23 années durant, ce jeune rappeur est venu leur rappeler qu'il ne suffit pas de s'acquérir un certificat de virginité pour en confirmer l'authenticité. Weld El 15, tout comme Sami Fehri, est devenu aujourd'hui l'emblème de l'injustice tunisienne d'après la « révolution » -si bien qu'il y en ait eu une- car trop d'acharnement visible à l'œil nu. On ne se cache plus, désormais, on est quasi-religieusement injuste en dépit de toutes les preuves d'innocence jetées à la figure du public, n'en déplaise à certains, pour ne pas dire à tous. Tunisiano n'a pas jeté les armes après la série de poursuites judiciaires à son encontre. Il s'est adressé, de nouveau, à la police dans une tentative de leur expliquer qu'il dit juste que certains font mal leur boulot et qu'il y a trop de jeunes qui sont au bout du rouleau! Je reprends ici un extrait de sa chanson avec une spéciale dédicace à nos respectables flics « Je porte plainte contre l'homme, sa loi et ses normes, son képi et son arme, caché derrière un uniforme, et l'enfoiré qui nous saigne, fait de nous des gens indignes, il nous assigne et nous entraîne à cracher sur leur insigne, je porte plainte contre vous ! » #Free Weld El 15 Nadya B'chir : Journaliste à Business News